La stratégie du choc à nos portes
Dans le Guardian d’hier, l’éditorialiste George Monbiot applique à l’Angleterre d’aujourd’hui la grille de lecture de Naomi Klein.
(Son nom sonne juste français parce qu’il descend d’exilés de la Révolution!)
POUR LES CONSERVATEURS, CE N’EST PAS UNE CRISE FINANCIERE, MAIS UNE OCCASION EN OR
Un exemple classique de « capitalisme du désastre »: les coupes budgétaires servent à remodeler l’économie à l’avantage des grandes entreprises, et à démolir le secteur public.
Ce n’est pas la bonne liste que nous surveillons. Inquiets des coups à venir, nous essayons de comprendre la première phase de l’assaut du Gouvernement contre le secteur public: le sacrifice des « quangos ». (Note: les quangos, quasi non-governmental organisations, sont des organismes administratifs politiquement indépendants, un peu comme la CNIL en France.) Presque tous les organismes publics en charge de la protection de l’environnement, des animaux ou des consommateurs ont été affaiblis ou supprimés. Mais ce n’est là qu’un aspect des choses. Reprenez la liste et cette fois, regardez quels « quangos » ont survécu.
Si le gouvernement avait voulu se débarrasser d’organismes inutiles ou néfastes, il aurait commencé par la Commonwealth Development Corporation, qui, au départ, devait lutter contre la pauvreté dans les pays émergeants. Aujourd’hui, elle finance des investissements privés (corporate ventures) juteuses, et enrichit ses directeurs. Le journal Private Eye a découvert que son patron avait un salaire d’1 million de livres, et que toute une série de cas de corruption touchait le CDC. Pas de coupes budgétaire. Pas de réforme.
Pareil avec le Export Credit Guarantee Department, qui de fait subventionne des entreprises privées en assurant leurs investissements à l’étranger. A une époque, 42% de son budget servait à soutenir les ventes d’armes de BAE. Il investit aussi beaucoup dans le forage pétrolier en environnement fragile. Un récent procès a démontré qu’il avait assuré des contrats non-écrits obtenus par des pots de vin. Pas de coupe budgétaire. Pas de réforme. (…)
Vous commencez à voir la logique? Les organismes publics chargés de contrôler les grandes entreprises se voient supprimés. Les organismes publics qui soutiennent les profits privés, quelles qu’en soient les conséquences pour les gens ou l’environnement, ne sont pas touchés. Ce que suggèrent ces deux listes, c’est que la crise économique constitue le désastre que les Conservateurs appelaient de leurs voeux. Le programme de coupes budgétaires de ce Gouvernement représente un exemple classique de capitalisme du désastre: l’utilisation d’une crise pour remodeler l’économie à l’avantage des grandes entreprises.
(Suit un long résumé de la lecture que fait N.Klein des évènements chiliens des années 70 et 80 dans The Shock Doctrine: the Rise of Disaster Capitalism.)
Notre crise est moins extrême, donc au Royaume Uni la stratégie du choc ne peut pas se trouver appliquée aussi systématiquement. Mais, comme David Blanchflower (ancien cadre, travailliste, de la Banque d’Angleterre) l’a signalé hier, il est fort probable que toutes ces coupes budgétaires vont déclencher une crise encore plus profonde: « C’est une très très grave erreur. Ce qu’il faudrait, c’est étaler ces coupes budgétaires sur une très longue période. » Et c’est bien là une autre caractéristique du capitalisme du désastre: exacerber les crises dont il se nourrit, pour se créer de nouvelles opportunités.
Alors, ne nous étonnons pas que 35 chefs de grandes entreprises aient écrit hier au Telegraph pour plaider, tout comme Milton Friedman en son temps, en faveur d’un choc brutal et rapide, avant que la fenêtre ne se referme. Cette politique risque de rogner leurs profits à court terme, mais quand nous sortirons de nos abris pour évaluer les dégats, nous nous rendrons compte que le monde tourne désormais pour eux, pas pour nous.
L’article complet:
http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2010/oct/18/conservative-financial-crisis-opportunity
Merci Florence pour ces traductions.
alainbu
19 octobre 2010 at 11 h 18 min
C’est exactement ce que je sens arriver chez nous. Partout dans le monde, l’ultra libéralisme se met définitivement en place.
« Résister est un verbe qui se conjugue au présent. »
Pensons à Lucie Aubrac, à Stéphane Hessel, 90 ans, et toujours là …
Pensons à 1789… A la Commune de Paris, à 1936.
Gavroche
19 octobre 2010 at 12 h 18 min
Merci FLo.
C’est bien ce que je ressens aussi: ‘ils’ se dépêchent de catastrophiser….
mebahel5
19 octobre 2010 at 12 h 59 min
De déclaration en déclaration c’est le déni qui s’exprime et ce soir on n’est pas loin d’un déni de démocratie quand Fillon vient nous expliquer que bloquer le pays c’est pas du jeu (démocratique)!
Cette pantomime cache mal un profond désarroi que révèle trop bien le double langage : d’un côté c’est « tout va très bien madame la marquise » et de l’autre « si ça continue comme ça, on va dans le mur ».
Qu’ils s’en aillent tous !
julesansjim
19 octobre 2010 at 21 h 02 min
ah, pow wow a bien réussi son truc, avec ce film the corporation. ça m’a rendue totalement parano, c’est devenu un filtre d’interprétation dont j’arrive pas à me défaire, et des phrases comme « les coupes budgétaires servent à remodeler l’économie à l’avantage des grandes entreprises, et à démolir le secteur public (…) Et c’est bien là une autre caractéristique du capitalisme du désastre: exacerber les crises dont il se nourrit, pour se créer de nouvelles opportunités. » alimentent largement cette angoisse. merci donc pour cet article. j’ose à peine dire « encore encore », tellement c’est déprimant – mais salutaire !
zozefine
20 octobre 2010 at 14 h 54 min
Une confirmation?
http://www.liberation.fr/depeches/01012297481-grande-bretagne-les-jeux-olympiques-de-2012-pas-affectes-par-l-austerite
florence
20 octobre 2010 at 18 h 47 min
Et il y a encore des cons qui « croivent » que le capitalisme, c’est la démocratie !
clomani
21 octobre 2010 at 9 h 01 min
Encore le Guardian (via un blog du Monde) : http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2010/10/21/vu-dailleurs-les-francais-se-battent-pour-lavenir-de-leurope-the-guardian/
alainbu
21 octobre 2010 at 21 h 31 min
[…] panique qui s’en était suivi, et hop ! Appliquant à la lettre les principes énoncés dans la stratégie du Choc, le pays s’était retrouvé en coupe réglée, toute velléité de résistance anéantie. Du […]
Après l’attentat (suite de A la guerre comme à la guerre) | laetSgo le Blog
27 juin 2015 at 19 h 30 min