LES VREGENS

Pourquoi les jolies filles n’aiment pas les gentils garçons ?

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Stéphane a senti brutalement un grand froid l’envahir et tout son corps se glacer.

Nico venait de dire qu’il avait passé la nuit chez Céline. Nico et ses DocMartens, et son Perfecto, et son badge de PIL.

Il l’avait raccompagnée en quittant la fête de fin d’année.

Pourtant, toute la soirée, Stéphane avait cherché à danser avec elle. Il s’était promis de l’embrasser pendant un slow. Ils s’entendaient bien tout les deux.

Mais, elle avait dansé avec Nico.

Au début de la soirée, il lui avait donné la cassette de Daho qu’il avait copié pour elle. Elle avait dit merci et lui avait claqué une bise, c’est là qu’il a pensé qu’il avait vraiment sa chance.

La veille déjà, en fumant le pétard du soir avec Fred et José, il se l’était promis.  Ne pas se dégonfler, la jouer cool, ouais cool, l’inviter à danser et doucement, l’embrasser… « coooool. ». « Quoi ? » avait dit José. « Hein ? ». «  Cool quoi ? ». «  Heu … Rien … Nous.  On est cool là, non ? » « Ouais cool » avait répondu José.

Ils étaient, depuis un temps qu’ils ne comptaient plus, allongés sur la pelouse du stade qui jouxtait l’internat. La bouteille d’Evian, avec un fond de Vodka pour faire chicha, gisait entre eux. José se redressait encore de temps en temps pour tirer dessus, même si ce deuxième stick était presque complètement consumé.

Fred lui, se faisait une petite fixette sur les dessins de son nouveau sweet.

C’est Nico, comme d’hab’ qui le lui avait fourni. Le plan était simple. Fred disait à sa mère qu’il avait besoin de nouvelles fringues, elle lui filait la thune. Il passait sa commande à Nico qui allait à la ZI de la Croix Blanche les piquer. Le tarif était 50 % de remise. Fred partageait avec Nico le fric de sa mère et avec le reste, il achetait le shit.

Nico, lui, pour le fric, il chourait : les fringues chez Kiabi, et aussi des autoradios, et puis fallait pas laisser traîner son walkman dans le dortoir ou des trucs comme ça, il ramassait tout et revendait. Il raquettait aussi un peu les secondes et les première-années de BEP.

José, pour le shit, il tapait dans son compte caisse d’épargne, alimenté régulièrement par sa grand-mère. C’était un bon petit, tous les week-ends, en rentrant de l’internat, il passait voir mémé.

Stéphane n’achetait pas de shit. Il savait trop le mal qu’avait son père pour ramener de l’argent à la maison. Alors déjà, il dépensait un minium. Et l’idée de se mettre la tête à l’envers avec la sueur de son père…non, pas question. Mais, bon, il achetait les chips et les bonbons qu’allaient avec, pour pas trop taxer les potes.

Et puis, dans la fumette, ce qu’il préférait, c’était d’en être. En être, des mecs respectés du lycée, pas être dans les nullosses.

Lui, sans style, sans fric et avec les oreilles décollées, au début, ç’a pas été facile à l’internat. En fait, ça a commencé à aller, le jour où le protal à réuni les trois classes pour leur faire la morale, sur le respect dû aux profs  ceci-cela. Parce que c’était le boxon dans le cours d’anglais. Et Stéphane, sans préméditer, a balancé des trucs secs sur l’autorité et le respect qui se gagne, sur la motivation à travailler et sur l’incohérence générale du discours du proviseur qui demandait aux élèves d’être tolérants avec la prof pas douée. Ce jour là, il avait obtenu son brevet d’insolence et n’était plus emmerdé par les autres. Depuis, il était élu délégué de classe et prenait son rôle à cœur. Un prof lui avait même dit qu’avec son bagou, il devrait devenir homme politique.

Son père, lui, disait qu’il devrait faire curé « T’aimes pas trop le boulot, tu parles bien, tu sais rien faire de tes mains : tu devrais faire curé » mais c’était pour le chambrer. Dans sa famille, on n’aimait ni les flics, ni les curés et le dimanche, on lisait l’Huma. Son père voulait surtout qu’il fasse des études et ne soit pas un ouvrier comme lui, une blouse bleue, un smicard.

Il avait 100 francs, pour 15 jours, pour le train et les imprévus de la semaine.

Un imprévu, il en avait eu un la semaine d’avant.

Tous ses mercredis après-midi, il les passait au rayon livres de Auchan. Il avait lu d’abord toutes les BD et maintenant, il prenait un livre de poche ou deux et hop, dans l’après-midi, ils les avalaient.

Ce mercredi là, il avait aperçu Céline qui venait faire des courses avec sa mère. Il l’avait suivie des yeux, elle s’était arrêtée au rayon disque. Alors, il y avait traîné, l’air de rien.

« Tiens, qu’est-ce tu fous là ? » elle avait dit, en lui marchant sur le pied pour rigoler. Pour se donner une contenance, il tenait un disque de Daho. « Ah ouais, c’est bien, Daho. Tu l’achètes ? Tu pourrais me faire une copie ? Ce serait sympa ».

Il avait demandé « Tu vas à la soirée Vendredi prochain ? ». Elle ira. 

Il avait eu juste assez pour acheter le disque. Il allait faire une copie, lui donner la cassette à la soirée, et se faire aimer.

 

Written by lenombrildupeuple

29 juillet 2011 à 17 h 48 min

19 Réponses

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  1. « Mais, elle avait dansé avec Nico… »

    Entre 16 et 23 ans j’ai pas mal fréquenté les bals populaires. D’abord comme « renard des parquets dansants », ensuite, durant trois années, comme chanteur/catalyseur de brèves rencontres, sur les mêmes parquets dansants.
    La plupart du temps je fermais les yeux pour mieux susurrer les slows langoureux qui électrisaient la piste de danse, bien que plongée dans la pénombre, pour l’ambiance.
    C’est pourquoi je n’ai jamais clairement eu conscience du nombre de rendez-vous réussis ou manqués auxquels j’ai pu assister depuis la scène d’orchestre. Jusqu’à ce que je lise ce texte, émouvant et sensible.

    julesansjim

    29 juillet 2011 at 18 h 34 min

    • J’aime observé les gens et dans les bals, ils se jouent en effet pleins d’histoires, à hauteur d’homme.
      Un truc auquel j’ai assisté aussi qui est « fascinant », ce sont les fêtes d’entreprises, là tu vois se révéler des aspects de leur personnalité ou de leurs désirs, insoupçonnés parmi tes collègues.

      lenombrildupeuple

      30 juillet 2011 at 14 h 27 min

  2. Oh, limpide et triste, ça fiche un coup de vieux…

    florence

    30 juillet 2011 at 14 h 15 min

    • Oui, c’est une histoire à laquelle j’ai repensé à cause de l’évocation par Alain de la musique des années 85 /90.
      Et le lycée dont je parle, tu l’as connu peu de temps après. C’est pour ça, que par jeu, j’ai mis  » une prof d’anglais » alors que c’était un prof de français.

      lenombrildupeuple

      30 juillet 2011 at 14 h 29 min

      • Hin, hin, me semblait bien, la ZI de la croix blanche, ça me disait quelque chose, mais je craignais d’être parano!

        Ce qui n’a pas changé, d’après les titres qu’on lit de temps en temps, c’est la « Grande Borne » à Grigny, mon tout premier poste, il y a plus de… Longtemps, quoi.

        florence

        31 juillet 2011 at 10 h 38 min

  3. J’avais mis un comm, il est passé à la trappe.
    Joli texte, qui rappelle plein de choses.

    Se faire aimer… vaste programme dirait qq’un.
    Et surtout à l’adolescence où chacun tente de se rapprocher d’une norme (correspondant à son groupe de pairs)… qui n’est pas forcément celle de l’autre (groupe).

    Je tique sur le titre: une généralisation un peu facile, mais bon, ça va avec le ton/style/datation du texte.

    Merci Nombril.

    mebahel5

    31 juillet 2011 at 7 h 54 min

  4. Pour le titre, c’est en effet uniquement l’expresion du sentimentde cet ado, a ce moment là. Peut-être des guillemets t’auraient moins gênée.
    Après, comment ces déceptions, ces chagrins, ces frustations se traduisent a l’ âge adulte, leurs influences dans les relations H/F,… Je ne sais pas.

    lenombrildupeuple

    31 juillet 2011 at 9 h 09 min

    • « c’est en effet uniquement l’expression du sentiment de cet ado, »
      Oui oui j’avais bien compris, te biles pas 🙂
      Tu devrais savoir que je grumble à tout va 🙂

      mebahel5

      1 août 2011 at 9 h 16 min

  5. « comment ces déceptions, ces chagrins, ces frustations se traduisent à l’ âge adulte ? »

    ************************************************
    Ce qu’on peut pressentir, en tout cas, c’est sans doute que cette « éducation sentimentale » est perçue par chacun d’entre nous comme un parcours initiatique plus ou moins riche d’enseignements, plus ou moins motivant, plus ou moins « édifiant » sur ce que peuvent apporter les relations H/F, quelles soient de nature amoureuse ou pas, d’ailleurs. Et ça relève vraiment, profondément, de l’histoire intime de chacun, avec des variantes à l’infini.
    Revoir aujourd’hui toute l’œuvre d’un Rohmer, ou d’un Truffaut, pourrait peut-être aussi nous être utile sur cette question.

    julesansjim

    31 juillet 2011 at 10 h 17 min

  6. Chouette texte, ton style me fait penser au Djian des débuts !
    Bien content que mon petit billet en soit presque à l’origine 😉

    alainbu

    31 juillet 2011 at 11 h 33 min

    • Le « Djian des débuts » ?! ben dis-donc, chouette compliment ! t’as bien fait d’venir M. Nombril !

      😉

      julesansjim

      31 juillet 2011 at 11 h 57 min

      • Alain : c’est pas «presque». Tu m’as fait repensé aux Berus, Ludwig von 88, Parabellum et Gogol 1er.
        Ensuite, j’ai juste tiré un fil dans les souvenirs.

        J&J : c’est en effet excessif. Djian, j’ai peu lu, je connais plus les chansons écrites pour Eicher.
        «crocodile» doit encore être dans ma bibliothèque, c’était un cadeau reçu d’une ancienne amoureuse, comme quoi, tout est dans tout.

        lenombrildupeuple

        31 juillet 2011 at 14 h 57 min

  7. T’écris bien et c’est poétique Nombril. Quand est-ce que tu nous fais un truc plus conséquent?

    superpowwow

    31 juillet 2011 at 20 h 34 min

    • C’est gentil, pour le staïle, (parce que sinon, tu trouves ça : « inconséquent  » ? 😉 )

      Pas de grande chose à dire.
       » Plus on parle, plus on dit de bêtise, c’est statistique ».
      Pas vraiment le temps d’essayer.
      Sans doute parce que je tiens pas la distance (non, il n’y a pas de double sens soufflé par ma femme dans cette phrase).
      Si je devais écrire, j’aimerai quelque chose loin de cette neurasthénie, c’est à dire que ce soit des trucs que j’ai envie de lire, qui me distraient.
      Des trucs comme on en trouve ici : http://fmr-ides.blogspot.com/ [nan, j’déconne, je suis un type sérieux et respectable, moi monsieur ]

      lenombrildupeuple

      31 juillet 2011 at 21 h 30 min

  8. Oh bon sang, qu’est ce que j’ai pu détester les slows et/ou le moment de drague obligatoire qu’ils représentaient 🙂

    Mais je suis d’accord avec les autres, c’est un très chouette texte

    kakophone

    1 août 2011 at 4 h 40 min

    • Tout pareil, détestage de slows, parce que j’aime danser, et non pas me coller contre qqun en tanguant, surtout quand on vient de transpirer sa race en s’éclatant.
      Pour la drague, pareil, draguer en suant, ça m’fait suer.
      Rôsement que je n’avais guère le droit de sortir, en fait, donc le peu de boums auxquelles j’ai participé je m’en souviens encore.

      mebahel5

      1 août 2011 at 9 h 19 min

      • moi j’ai toujours détesté danser 😉

        alainbu

        1 août 2011 at 10 h 20 min

      • Ben j’sais pas, mais moi, après avoir bien transpiré, j’aimais bien les slows…
        Pasque sinon, à quoi ça servait de s’agiter comme des gagas en dansant la salsa ?
        Aqueu mes copines, on attendait les slows toute la soirée, en repérant avant les beaux petits, quoi. Évidemment, on allait pas se mélanger avec les gars qui puaient de la gueule, ou avec les cakes, mais les chouettes beaux gosses sympas et marrants, pas de blème… J’aimais bien leur odeur de sueur, d’eau de toilette, de clopes… Et c’est vrai que c’est nous les filles qui choisissions avec qui on voulait se mélanger, après…

        Mais je dois être obsédée ? Est-ce grave, docteur ? ;-))

        Bref, ton texte me rappelle de beaux souvenirs. Merci.

        Gavroche

        15 août 2011 at 11 h 07 min

  9. merci nombril, quel beau texte, qui me replonge dans les affres de l’adolescence tellement complexée, tellement inquiète ! qu’en reste-t-il quand on est adulte ? comment et pourquoi on arrive à se construire avec et malgré ça ?
    moi, ce mec, j’en serais tombée amoureuse instantanément !

    zozefine

    15 août 2011 at 8 h 18 min


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