LES VREGENS

Jean-Claude Michéa – Le complexe d’Orphée : La Gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès

with 11 comments

Décidément, papa Schneidermann m’inspire… Hier matin, dans sa chronique matutinale,  il taclait avec humour ce que les « socialistes » pratiquent depuis trente ans : le retournement de veste. Car les « socialistes » sont comme des caméléons, ils s’adaptent.

Kouchner, Fadela Amara, Stéphane Richard (il paraît qu’il est de « gauche ») ces gens n’ont pas d’honneur … 

Seul Besson n’ira pas voter aux primaires socialistes, on me dit dans l’oreillette qu’il n’ose pas. Pas encore. quoique…

On peut donc assez légitimement se poser la question : y-a t-il vraiment une différence – philosophique – entre la droite et la prétendue gauche ? Cette question se pose d’ailleurs à peu près partout dans le monde. Le « système » qui est en train de nous tuer n’est remis en cause nulle part, en tous cas, pas par les « politiques », qui ne font plus que « gérer » le capitalisme.

Par exemple, saviez-vous que le parti de Madame Tzipi Livni (Plomb durci, bilan 1450 morts palestiniens, dont les deux tiers de civils) fait partie de « l’internationale socialiste ? »

Alors, les gens « s’indignent ». Je vous en avais déjà parlé ici. Et  L’amie Agnès Maillard, sur son blog Le Monolecte,  elle, ne s’indigne pas, elle est comme moi, c’est bien plus que de l’indignation, c’est de la rage, mais aussi de la tristesse, et du découragement. Elle n’est pas la seule. 

Alors, comme vous le savez certainement, Jean-Claude Michéa vient de sortir un nouveau livre, Le complexe d’Orphée : La Gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès, c’est paru chez Climats ces jour-ci, et je viens de le commander, et pas chez Amazon. Ceux-là, je ne leur commanderai plus jamais rien.

Pourquoi ? Parce que. 

Et Michéa se fait allumer à peu près partout, ce qui n’est guère étonnant.

Par la droite bon teint, évidemment.

Par exemple, je suis allée lire ce que raconte au sujet du livre la délicieuse Élisabeth Lévy, dans Causeur.

Vous avouerez quand même que je pousse l’abnégation très loin, pour tenter de vous informer sur la dégueulasserie ambiante. (vous penserez à moi pour Nowel, ça mérite bien une – très – grosse boîte de chocolats…)

Donc, pour Mâme Lévy, être de gauche, c’est carrément être un adolescent attardé. C’est franchement niais. Genre bisounours, quoi (en ce qui la concerne, pas de danger, elle était déjà vieille à la naissance). Parce que la gauche, c’est franchement totalitaaaaaaaaaaaaire… C’est pas « pluraliste », la gauche. Les gens de gauche vous refusent la parole. Évidemment, lire ça sous le plume de cette dame, c’est franchement drôle, quand on sait comment elle se comporte face à ses interlocuteurs, ou comment elle cause des gens qui ont le malheur de lui déplaire …

Comme ici, avec l’élégance qui la caractérise :

au sujet de Stéphane Hessel…

Quand on lit son venin sa prose, le PS deviendrait presque sympathique… C’est dire. Et en plus, elle fait des fôtes : Si j’étais allé voter

Bref. Lili la foldingue crache son fiel, et conclut : 

Affolés par les ravages de l’individualisme, nous finissons par oublier que l’émergence de l’individu a été une émancipation au moins autant qu’une aliénation. La société libérale ne se réduit pas au choc des égoïsmes. Elle est aussi le cadre dans lequel on peut choisir – sa vie, ses amis, ses compagnons, ses plaisirs – ce qui ne signifie nullement s’adonner à l’ubris du « tout tout de suite » ou du « ce que je veux, quand je veux ». Nous avons des obligations morales à l’égard de notre prochain. L’aimer n’en fait pas partie.

On avait compris, Élisabeth Lévy n’aime personne, sauf elle-même.

Mais Michéa se fait proprement démolir aussi par « la gauche ». Car comme le dit le titre de l’émission d’hier d’Arrêt sur Images, la « gauche » n’aime pas beaucoup qu’on lui mette le nez dans son caca.

Ainsi, dans le Monde d’hier,  c’est Luc Boltanski  (un bourdieusien, dont j’avais lu avec intérêt, il y a quelques années, Le nouvel esprit du capitalisme) qui dézingue le livre, et tout en utilisant des raccourcis pour le moins malhonnêtes, accuse – carrément – Michéa de racler dans le caniveau de la droite la plus réactionnaire.

Car le livre est encensé – hélas – sur les sites d’extrême-droite. Qui n’hésitent pas à « récupérer » Michéa. Comme Sarkozy avait en son temps récupéré Jaurès et Guy Mocquet.

Faut dire qu’il est sacrément dérangeant, l’ami Michéa.

Lui ne veut sûrement pas faire partie de cette « gauche » là…

Mais qui est Jean-Claude Michéa ?

Je me définirais, pour commencer, comme un « socialiste », au sens que ce mot avait au début du XIXe siècle … En d’autres termes, je demeure fidèle au principe d’une société sans classe, fondée sur les valeurs traditionnelles de l’esprit du don et de l’entraide. Je suis par conséquent définitivement opposé à tous ces programmes de « modernisation » ou de « rationalisation » de l’existence humaine qui conduisent, sous une forme ou sous une autre, à privilégier le calcul égoïste et les formes antagonistes de la rivalité.

Je me définirais ensuite – ce n’est naturellement pas incompatible – comme un démocrate radical, c’est-à-dire comme quelqu’un qui pense que la démocratie ne saurait être réduite aux seuls principes du gouvernement représentatif. Ce dernier, en effet, conduit inévitablement à déposséder le peuple de sa souveraineté au profit d’une caste de politiciens professionnels et de prétendus « experts ». Le récent référendum sur la Constitution européenne en offre une illustration chimiquement pure. La procédure référendaire représentait en effet, au sein des institutions libérales, l’une des dernières traces de l’intervention directe du peuple. Il a donc suffi que le peuple français rejette clairement un traité qui visait à constitutionnaliser les dogmes du libéralisme pour que la quasi-totalité des « représentants du peuple », qu’ils soient de gauche ou de droite, s’empressent sur-le-champ de bafouer cette volonté populaire en imposant par d’autres voies le traité rejeté. Voilà qui donne, une fois pour toutes, la mesure réelle du pouvoir dont dispose le peuple dans les « démocraties » libérales.

Il est absurde de penser que, dans le système politique qui est le nôtre, le pouvoir est réellement exercé par le peuple. Comme l’écrivait Debord, les droits dont nous disposons sont, pour l’essentiel, les droits de « l’homme spectateur ». En d’autres termes, nous sommes globalement libres de critiquer le film que le système a décidé de nous projeter (ce qui, pour un peuple frondeur, n’est pas un droit négligeable), mais nous n’avons strictement aucun droit d’en modifier le scénario, et cela que nous apportions nos voix à un parti de droite ou à un parti de gauche. L’affaire du référendum devrait avoir convaincu les derniers naïfs.

le paradoxe constitutif des politiques libérales c’est qu’elles sont constamment amenées à intervenir sur la société civile, ne serait-ce que pour y enraciner les principes du libre-échange et de l’individualisme politique. Pour commencer, cela implique en général une politique de soutien permanent au marché dit « autorégulé », politique qui peut aller, comme on le sait, jusqu’à la fameuse « socialisation des pertes » (les classes populaires étant régulièrement invitées à éponger les dettes des banquiers imprévoyants ou des spéculateurs malchanceux).

Et ça se vérifie ces derniers jours : Le contribuable repasse à la caisse…

Mais un pouvoir libéral est également tenu de développer sans cesse les conditions d’une « concurrence libre et non faussée ». Cela implique toute une politique particulièrement active de démantèlement des services publics et des différentes formes de protection sociale, officiellement destinée à aligner la réalité empirique sur les dogmes de la théorie universitaire.

Enfin, et c’est l’essentiel, l’État libéral est logiquement contraint d’impulser une révolution culturelle permanente dont le but est d’éradiquer tous les obstacles historiques et culturels à l’accumulation du capital, et avant tout à ce qui en constitue aujourd’hui la condition de possibilité la plus décisive : la mobilité des individus, dont la forme ultime est la liberté intégrale de circuler sur le marché mondial.

C’est ainsi qu’Hubert Védrine rappelait récemment, dans un rapport officiel destiné au président Sarkozy, qu’un des principaux freins à la croissance était la « répugnance morale persistante » des gens ordinaires envers « l’économie de marché et son moteur, le profit ».

Rappel : Hubert Védrine, à part qu’il est membre du Siècle, est « socialiste ».

Et petit bonus pour la fin, en réponse à tous ces braves gens « de gauche », décidément outrés par les propos de Jean-Claude Michéa :

Critiquer le rôle de l’État libéral contemporain sans mesurer à quel point le centre de gravité du système capitaliste s’est déplacé depuis longtemps vers les dynamiques du marché lui-même, représente par conséquent une erreur de diagnostic capitale. Erreur dont je ne suis malheureusement pas sûr qu’elle soit seulement d’origine intellectuelle. Focaliser ainsi son attention sur les seuls méfaits de l’ « État policier » (comme si nous vivions au Tibet ou en Corée du Nord et que le gouvernement de M. Sarkozy était une simple réplique de l’ordre vichyssois) procure des bénéfices psychologiques secondaires trop importants pour ne pas être suspects. Cette admirable vigilance ne présente pas seulement l’avantage, en effet, de transformer instantanément ses pratiquants en maquisards héroïques – seraient-ils par ailleurs sociologues appointés par l’État, stars du showbiz, maîtres de conférences à la Sorbonne ou pensionnaires attitrés du cirque médiatique. Elle leur permet surtout de ne pas trop avoir à s’interroger, pendant ce temps, sur leur degré d’implication personnelle dans la reproduction du mode de vie capitaliste, autrement dit sur leur propre rapport réel et quotidien au monde de la consommation et à son imaginaire.

11 Réponses

Subscribe to comments with RSS.

  1. J’ai lu pas plus tard qu’hier la critique au vitriol de Boltanski dans Le monde des livres et j’ai été estomaqué par la virulence du propos. Manifestement Michéa agace beaucoup de monde. Ce qui est plutôt bon signe, de mon point de vue.
    Ce qui me trouble néanmoins c’est que j’avais apprécié la critique faite par Boltanski du livre de Christian Laval « La nouvelle école capitaliste ». Cela dit, lorsque Michéa s’exprime sur l’école il n’est pas tendre avec les pédagogistes de la gogoche (voir L’enseignement de l’ignorance) comme je l’ai déjà fait remarqué par ici. A mes risques et périls 😉

    Je suis allé vérifier le parcours de ce sociologue sur Wiki et j’y ai appris qu’après avoir collaboré à l’école bourdieusienne, il avait pris ses distances pour fonder un courant de pensée moins « déterministe ».
    Pour les plus curieux c’est là :
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Luc_Boltanski

    ***********************************
    Je pense que si Michéa était aussi solide et consistant sur les alternatives concrètes souhaitables que lorsqu’il analyse les processus et les discours, il serait moins récupérable par n’importe qui et serait encore plus incontournable dans le débat public.

    julesansjim

    8 octobre 2011 at 16 h 10 min

  2. C’est sympa de redonner le lien de la page wiki de m’sieu Boltanski.
    Il n’empêche que si tu LISAIS LES LIENS QUE JE DONNE, hein…. !!!!!!!!!!

    Rhalala… Bien la peine que la Gavroche elle se décarcasse, tiens…:-))

    Gavroche

    8 octobre 2011 at 18 h 21 min

    • Ah ben non j’ai vu ton lien vers Le Monde des livres (que j’avais lu) et pas celui sur Boltanski vers Wiki. C’est pour ça …

      😦

      julesansjim

      9 octobre 2011 at 9 h 49 min

      • Nan, mais je plaisante, mon Zules, je sais que c’est passe que t’avais pas mis tes lunettes… ;-))

        Gavroche

        9 octobre 2011 at 10 h 59 min

  3. S’ils se mettent tous à tirer sur Michéa, c’est parce qu’il leur fait peur. Parce qu’il a raison.
    Et ça, ils n’aiment pas du tout…
    Merci Gavroche, diffusons, diffusons. Même s’il peut parfois se planter, parfois être flou, c’est l’un des rares auteurs actuels à bousculer véritablement la médiocrité conceptuelle ambiante, et à défendre livre après livre une pensée cohérente, aventureuse et ravigorante.
    Michéa Powa!

    @jsj : tu n’as pas entièrement tort sur le besoin de solidité. Mais, bon sang, quelle justesse d’analyse, aussi ! Rien que ça devrait faire réagir de nombreux intellectuels, politiques, afin de réfléchir, eux, à ce qu’ils pourraient tirer de ses analyses.
    Est-ce que Mélenchon lit Michéa, tiens, par exemple ?

    sleepless

    9 octobre 2011 at 2 h 45 min

    • Alors si je comprends bien, pour avoir l’honneeeeeuuur d’être commmmmmmenté par Mister Sleepless il faut faire des billets qui cause de Michéa ?

      Je le note…

      😉

      julesansjim

      9 octobre 2011 at 9 h 51 min

      • Tu peux prendre l’option Lasch, sinon. Que j’ai trouvé plus facile à lire, car c’est idiot mais avec Michéa, même si des passages me convainquent vraiment (et merci Gavroche pour cette sélection) j’ai du mal à suivre le fil avec ses notes dans tous les sens. C’est moi, hein, c’est pas de sa faute.

        florence

        9 octobre 2011 at 10 h 41 min

      • Pfff.
        C’est simplement que je suis débordé, que je n’ai pas le temps de tout lire, ni de commenter, ici ou ailleurs du reste.
        Mais ça devrait aller mieux dès mi-novembre 🙂

        sleepless

        9 octobre 2011 at 14 h 19 min

  4. J’avoue qu’avec Lasch j’ai un peu plus de mal…

    Et c’est vrai que les notes de Michéa, c’est un peu difficile à suivre, mais c’est tellement cohérent, que finalement ça reste très clair. Enfin pour moi.

    Et il explique la raison de ces notes, au début de L’empire du moindre mal :

    « Comme tout travail théorique, cet essai comporte un grand nombre de notes. Pour faciliter la tâche du lecteur, j’ai fait en sorte que celles qui suivaient chaque chapitre, bien que correspondant chaque fois à un point précis du texte, puissent être lues comme des « scolies », c’est à dire comme autant de petites précisions indépendantes. On pourra donc lire cet essai de façon linéaire. »

    Gavroche

    9 octobre 2011 at 11 h 05 min

  5. Pas lu Christopher Lasch encore. Mais la trad est-elle bonne, propose-t-elle un texte suffisamment fluide et limpide ? Flo elle s’en fiche, elle lit direct dans le texte original !
    😉

    Sinon j’ai trouvé un site très sérieux visiblement, celui de Denis Collin « Philosophie et politique » qui propose une analyse très minutieuse d’un ouvrage de Lasch intitulé : » Le seul et vrai paradis ».

    Si l’on ne fatigue pas trop à lire des pavés sur écran (genre commentaires à la AA sur @si) le travail très éclairant de Collin vaut le détour et constitue une incitation convaincante et décisive à la lecture de C. Lasch et donc aussi de Michéa.

    http://denis-collin.viabloga.com/news/christopher-lasch-le-seul-et-vrai-paradis

    julesansjim

    9 octobre 2011 at 15 h 00 min

  6. élargir la focale, prendre du champ, et regarder tout ça depuis mars, mais alors se heurter au mur de l’impuissance, j’en ai peur. je cite ce que tu cites : « Critiquer le rôle de l’État libéral contemporain sans mesurer à quel point le centre de gravité du système capitaliste s’est déplacé depuis longtemps vers les dynamiques du marché lui-même, représente par conséquent une erreur de diagnostic capitale. »
    comment détruire un système devenu fou avant qu’il ne nous bouffe ? tiens, je vais re-regarder 2001 odyssée de l’espace… je me rappelle pas comment ils le niquent, leur système, hal.

    zozefine

    13 octobre 2011 at 18 h 39 min


Laisser un commentaire