LES VREGENS

« Detachment » : le cri d’alarme de Tony Kaye

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C’est ainsi que j’ai reçu le dernier film de ce réalisateur américain (auteur par le passé du très remarqué « American History X ») : quelque chose comme « Hey men ! your school is falling down ! » Dans l’ultime séquence qui précède le générique de fin, Adrian Brody, alias Henry Barthes, le professeur-remplaçant de littérature anglaise, lit un passage d’une nouvelle d’E.A. Poe « The fall of the house of Usher » devant une classe au mobilier dévasté, désertée par ses élèves. Message on ne peut plus clair, qui s’adresse en priorité aux adultes, parents, enseignants, responsables politiques…

La Production a eu la bonne idée de distribuer la version française, sous-titrée ou non, en lui  conservant son titre anglais. « Detachment » se traduit par « indifférence » (par ex : He viewed his work with a sense of detachment. « ) ou par « décollement » (de la rétine, de l’épiderme…).
C’est en effet cette impression qui domine dans les premières minutes du film. Tout se passe comme si chacun s’était enveloppé dans une bulle d’indifférence : les professeurs, les administratifs… comme pour se protéger, et certains élèves semblent déconnectés des savoirs scolaires, comme souffrant d’un « décollement de l’envie d’apprendre ». Indifférence aux agressions verbales et physiques pour les enseignants, indifférence aux savoirs et à la parole pédagogique pour les élèves, indifférence aux difficultés du métier d’enseignant pour les personnels administratifs, comptables des coûts importants de l’effort éducatif. Si l’on ajoute à cela, la non-implication des parents dans le nécessaire accompagnement éducatif, le spectateur ressent en permanence une tension entre tous ces êtres si différents, condamnés en quelque sorte à vivre ensemble, sans s’être choisis ! Autrement dit, vivre aux limites du supportable.

Teachers are waiting for... parents

Arrive alors Henry Barthes, prof-remplaçant pour quelques semaines. Son pas nonchalant, sa voix sans timbre, son sourire éteint, ses yeux rougis et fatigués semblent nous suggérer que lui aussi a  choisi le camp de l’indifférence. D’ailleurs, il ne semble se faire aucune illusion sur l’utilité de sa fonction : « Je n’ai qu’une règle. Une seule. Si vous n’avez pas envie d’être ici, ne venez pas. » dit-il aux élèves, à peine entré dans la salle de classe. Plus tard, comme s’adressant à une caméra documentaire intervieweuse, il dira « Je suis juste là pour qu’il n’y ait pas de mort ! »

"If you don't want to be here, don't came !"

Fausse piste ! En réalité, le bonhomme est blindé. Dès le premier cours, un colosse, casquette vissée sur le crâne, l’apostrophe grossièrement et le menace physiquement. Barthes lui fait face sans trembler ni reculer. Il lui explique calmement que la colère compréhensible de ce jeune homme se trompe de cible, car lui, le prof, est le seul en mesure de l’aider. Une toute jeune fille mineure, Erika, qui vend ses services sexuelles dans la rue et le métro, le drague et tente de faire commerce avec lui, il la repousse gentiment une première fois. Il l’accueillera chez lui quelques jours plus tard, le temps qu’elle remonte la pente. Une belle relation faite d’affection et d’amour mêlés  naîtra de cet épisode bouleversant.

Son propre grand-père dépérit dans un centre d’hébergement plus ou moins médicalisé ; Henry l’accompagne autant qu’il peut, avec douceur et empathie, en essayant de « limiter les dégâts » dus aux carences du personnel d’accueil. Dans la classe, une jeune fille, Meredith, attire très vite l’attention du prof. Son obésité provoque les quolibets et le mépris de ses camarades ; Henry va la protéger, la soutenir en encourageant ses qualités et ses points forts, notamment artistiques, au point de créer un malentendu relationnel qui tournera au drame.
Bref, ce type est un « mec bien », il rassemble à l’évidence toutes les qualités pour faire un « bon prof ». Sans jamais le revendiquer pourtant. Il ne se prend pas pour un héros, juste un homme qui tente de faire au mieux avec ce qu’il peut. De plus, par petites touches, sous forme de flash-back, Tony Kaye nous livre progressivement des lambeaux de ce que fut l’enfance déchirée d’Henry. Ainsi, le spectateur est au fait de ce que contient comme souffrances le cartable de ce prof-remplaçant ; il comprend de mieux en mieux ce qui guide la philosophie de cet homme, écartelé entre espoir et désespoir, puissance et impuissance, responsabilité et culpabilité, depuis si longtemps.

Le remplacement s’achève pour Henry. A l’exception tragique de Meredith, il quitte des élèves en meilleure santé, mais qu’il ne sauvera évidemment pas. La petite Erika, qui a l’âge de ses élèves, est quant à elle sur la bonne voie, même si la route est encore longue. Quant au collège, fragile navire ballotté par la misère culturelle et la désespérance  sociale, le réalisateur esquisse une métaphore en empruntant un passage d’une nouvelle d’Edgar Allan Poe dont le titre s’affiche en lettres majuscules sur le tableau noir d’une salle de classe, après l’ouragan. C’est alors que retentit en chaque spectateur le même message d’alerte : « If school is down, what’s going on ? ! » J’exprime la question dans la langue de la V.O, pour rester raccord, mais l’interrogation a évidemment une portée quasi universelle. Il suffit de penser à l’état de notre propre système éducatif pour se sentir interpellé par Tony Kaye.

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La critique a fait un accueil diversement apprécié de ce film. Malgré quelques distinctions (Deauville, Tokyo…), la presse française se sera montrée plutôt tiède. Deux exceptions toutefois dont je suggère la lecture : le billet de Cachou, une blogueuse cinéphile et prof de Lettres, l’article d’Isabelle Curtet-Poulner, dans Marianne2.fr.

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« … c’est un coup de poing qui se transforme en coup de cœur. A voir, même si vous n’êtes pas professeur. Surtout si vous n’êtes pas professeur. » (Cachou)

« « Il y a des jours où la place qu’on accorde aux autres est limitée », relève Adrien Brody.

Des jours aussi où le cinéma fouille le renoncement et le fond des âmes, sans limites. «  (Marianne2)

27 Réponses

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  1. Merci, je le regarderai.

    La bande annonce : http://www.premiere.fr/Bandes-annonces/Video/Detachment-VOST

    gemp

    11 février 2012 at 16 h 21 min

  2. //Il suffit de penser à l’état de notre propre système éducatif pour se sentir interpellé par Tony Kaye//

    Ce métier, je l’ai exercé avec passion jusqu’au bout. Je l’ai quitté en regrettant beaucoup mes collègues, qui savaient ce que se remettre en cause et travailler ensemble veut dire, moins mes élèves qui voulaient bien assister au spectacle mais ne plus faire d’efforts, encore moins leurs parents que j’ai vus passer en trente ans de la confiance à la méfiance, encore moins mon administration, lâche, carriériste et indifférente, et pas du tout mes ministres, carriéristes et indifférents.

    Quand un jeune me dit qu’il veut faire ce métier je lui dis : surtout pas, fais trader, pute au Bois ou mieux, homme politique, mais ne va pas là où tu recevras principalement indifférence des élèves, attaques des parents, abandon de tes patrons, et mépris/jalousie sur les forums internet.

    athalouk

    11 février 2012 at 16 h 53 min

  3. Dans la liste des catastrophes qui se sont abattues ur l’EN, j’ai oublié les pédagogols.

    athalouk

    11 février 2012 at 16 h 54 min

    • Oui, je sais, il est de bon ton depuis une bonne dizaine d’années de taper comme des sourds sur certains gogols qui auraient fait du zèle pédagogique, au point d’inoculer une « pédagogite » ravageuse au cœur du système éducatif. Pour ma part je n’ai jamais trop cru à cette « légende ». D’abord parce qu’en 40 ans de métier j’ai côtoyé plus d’instits type 3e république que de pédagos type Freinet ou Education Nouvelle. (l’exacte proportion étant du 80/20 !). Ensuite, je constate que la réaction des antipédagos a les coudées franches (pour ne pas dire plus) depuis une bonne dizaine d’années, et qu’observe-t-on ? que les choses vont de mal en pis à tous les étages ! Sans commentaire…

      Aussi, pardonnez-moi mon cher Athalouk, mais il me semble que la crise scolaire vaut mieux qu’un maigre argumentaire fondée sur la thèse du bouc-émissaire. Vous ne me traînerez pas dans ce marigot-là !

      julesansjim

      11 février 2012 at 17 h 11 min

      • Ou avez-vous vu que je réduisais la cata aux errances des pédagogols ? Que je cherche à vous noyer dans quelque marigot ?

        (Ce qui est sûr c’est que je ne suis votre cher en rien du tout, et que j’ai horreur que les débats sur un thème prennent un tour personnel. « Maigre argumentaire » : dites-donc, je vous ai méprisé, moi,dans mon commentaire ?)

        Les pédagogols que j’ai rencontrés n’étaient pas des des enseignants Freinet (que je ne mets pas dans ce sac, respect à eux car ce sont des gens de terrain) mais nos inspecteurs, qui voulaient nous imposer de ne plus faire de cours dédiés en grammaire, d’être cool sur les exigences. Sans parler des formateurs d’IUFM, qui ne savent plus ce qu’est un élève, ce qu’est une classe, de la rage des grilles de ceci-cela à remplir, des évaluations qui n’avaient que deux buts : m’apprendre sur le niveau des élèves ce que je savais déjà, et me faire perdre un temps de cours déjà suffisamment rogné. Quand j’ai commencé en sixième ; six heures de cours dont trois dédoublées, à la fin : cinq sans dédoublement. Si on veut une cause parmi plusieurs de la décadence, en voici une.

        Oui, les choses vont de mal en pis, mais les responsabilités sont multiples, et pas seulement, celles des brighellistes ou des meirieutistes !

        athalouk

        11 février 2012 at 17 h 52 min

  4. Je vous rappelle votre provoc’ Athalouk : « Dans la liste des catastrophes qui se sont abattues sur l’EN, j’ai oublié les pédagogols. » Ce terme désobligeant est utilisé, si je ne m’abuse, par le camp brighelliste and Co. Si vous ne vous sentez pas de ce camp-là n’employez pas leurs « tics » de langage.

    Et si vous ne voulez pas que je monte sur mes grands chevaux, n’utilisez plus à l’avenir des clichés/raccourcis de ce type avec moi, merci. Ça vous évitera de vous énerver à votre tour. Pour rien d’ailleurs, puisque nous sommes globalement d’accord : les causes de la cata sont multifactorielles. Raison de plus pour n’en citer aucune quand on ne peut pas les citer toutes.

    julesansjim

    11 février 2012 at 19 h 03 min

    • Je ne suis d’aucun camp, et c’est ce qui me vaut le mépris des deux. M’en fous, j’ai l’habitude de marcher seul.

      //n’utilisez plus à l’avenir des clichés/raccourcis de ce type avec moi, merci//

      Je ne m’adressais pas à vous, qui n’êtes ni le centre du monde ni celui de ce blogue.

      //Raison de plus pour n’en citer aucune quand on ne peut pas les citer toutes//

      Je fais ce que je veux, sans attendre votre imprimatur et en m’agaçant de votre condescendance, OK ?
      Décidément, vous êtes toujours le même : aimant donner la leçon, détestant en recevoir.
      On s’en remettra.

      Pour revenir à plus important, ie la dégradation de l’EN. Il y a donc certains qui, par bisounoursisme ou démagogie jeuniste, abaissent le niveau d’exigences (exemple : le Bégaudeau). Et ceux qui, à chercher du côté des princes qui nous gouvernent, abaissent les moyens en enseignants. Sous le vertueux couvert des zéconomies se cache une volonté précise : faire que la masse des enfants qui n’ont pas leurs moyens sociaux et financiers ne bénéficie pas d’une éducation de qualité, susceptible de les rendre dangereux pour leur propre progéniture, qu’ils coucounent à tout va. Qu’on ne puisse plus comme autrefois voir un fils de paysans devenir un Pierre Bourdieu. Le premier leur a déjà donné assez de soucis comme ça.

      athalouk

      11 février 2012 at 19 h 39 min

      • Vous m’emmerdez PMB avec vos humeurs de vieux schnoque bouffé par une bile amère et acariâtre !

        Je ne fais la leçon à personne et je ne me sens le centre de rien du tout ! Simplement, moi, ici, je mets mes billets en ligne tout seul comme un grand (j’en suis à 60 figurez-vous !) et je ne vais sûrement pas me laisser emmerder par un type qui passe son temps à entrer et sortir en claquant les portes de tous les sites ou blogs où il traîne sa mauvaise humeur et ses multiples susceptibilités. C’est vous qui êtes venu me chercher, pas moi.
        Alors soit vous changez de ton avec moi, soit vous dégagez de ce blog ; la galaxie numérique est assez vaste pour votre ego surdimensionné je pense.

        PS : je ne suis pas le centre de ce blog mais je peux d’un clic virer tous vos commentaires. Si c’est ce que vous cherchez, je peux vous faire ce plaisir. Ce ne serait pas de la condescendance mais carrément l’expression de ma grandeur d’âme.

        julesansjim

        11 février 2012 at 21 h 16 min

      • //Alors soit vous changez de ton avec moi, soit vous dégagez de ce blog ; la galaxie numérique est assez vaste pour votre ego surdimensionné je pense//

        En matière d’ego surdimensionné, vous êtes mal placé pour me faire la leçon, avec votre « grandeur d’âme » (mais vous allez sans doute me dire que c’est du second degré). Pour le changement de ton avec vous, soyez rassuré : je vais me remettre à vous ignorer.

        Je vous aurais cherché quand je parlais de « pédagogols » ? Excusez-moi mais vous lisant fort peu, j’ignorais que vous penchiez de ce côté.

        //je peux d’un clic virer tous vos commentaires. Si c’est ce que vous cherchez, je peux vous faire ce plaisir//

        Je ne cherche rien, et ne quitterai pas de moi même ce blogue où se trouvent des personnes fort sympathiques. Mais ce ne serait pas la première censure de ce type dont je ferais l’objet, venant de gens dont l’aptitude à la confrontation est assez limitée. Si vous ne voyez pas la différence entre critique et injure, tant pis.

        Bon, si vous voulez le dernier mot, prenez-le. Allez, bye !

        athalouk

        12 février 2012 at 9 h 39 min

      • //Dites donc, vous n’êtes ni très aimable ni très patient, hein!/
        Florence, quand on ne vient pas me chercher, je suis l’homme le plus aimable du monde (aïe, mon ego surdimensionné a encore frappé !)

        //Concernant la pédagogie ou pédagogolerie enfin, je n’ai pas de religion, m’est avis qu’il n’est jamais mauvais de réfléchir quand on se trouve face à des échecs, non?//

        Bien sûr qu’il faut réfléchir, à condition de trouver les bonnes solutions. J’ajoute que dans les pratiques pédagogistes, il m’est arrivé de trouver du bon et de l’utiliser. Exemple la notation détaillée des rédactions. L’idée de séquences (en Français) n’est pas en soi une mauvaise idée. Mais on impose aux élèves de recourir à un jargon digne d’un spécialiste en linguistique et surtout, on a réduit l’enseignement de la grammaire, l’étude des conjugaisons. Bah oui, ce travail c’est l’ennui, le supposé ennemi de l’élève. N’empêche qu’à ne pas savoir comment et pourquoi fonctionne une langue, on se condamne à mal l’utiliser.
        On peut aussi reprocher aux pédagogistes leur dogmatisme totalitaire. Essayez de tenir tête à un inspecteur ou à un directeur qui en pince pour, et vous verrez ce que deviendra votre carrière. Hors d’eux, point de salut.

        athalouk

        12 février 2012 at 9 h 50 min

      • Dites donc, vous n’êtes ni très aimable ni très patient, hein!
        D’accord avec la fin de votre commentaire (celui juste au-dessus, là).
        Pour les IUFM c’est réglé puisque ça n’existe plus, il n’y a plus AUCUNE formation d’ailleurs, et on ne me fera pas croire que quiconque y gagne, à part la trésorerie, le nouveau prof occupant d’entrée un temps plein.
        Concernant la pédagogie ou pédagogolerie enfin, je n’ai pas de religion, m’est avis qu’il n’est jamais mauvais de réfléchir quand on se trouve face à des échecs, non?

        florence

        12 février 2012 at 1 h 38 min

  5. Ecoutez Athalouk, le mieux serait d’abord qu’on se calme, l’un comme l’autre. Ensuite, sans vouloir vous commandez, si ce n’est déjà fait (mais je ne le pense pas) et si vous en avez l’occasion, je vous suggère de voir « Detachment ».
    Et de revenir nous donner ici votre opinion et les remarques qu’il vous inspire. Même si vous en avez déjà dit beaucoup.

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    Le dernier mot je le laisse à Luc Cédelle, l’un des tout meilleurs journalistes-éducation, qui écrivait récemment sur son blog à propos de Philippe Meirieu :

    « Schématiquement, le chic anti-Meirieu se rencontre sous trois formes, étagées en intensité, qui peuvent être isolées les unes des autres ou bien coexister chez un même individu : l’apitoiement condescendant, la détestation glaciale, l’exécration écumante.

    Sans entrer ici dans le détail de ces catégories, il faut cependant préciser qu’elles sont elles-mêmes scindées entre une minorité de gens qui ont réellement lu certains ouvrages de Meirieu, et une majorité qui se fonde exclusivement sur un mélange mental de bribes d’interviews et de pur ouï-dire. »

    Bon film.

    julesansjim

    12 février 2012 at 9 h 53 min

    • Bon, si on me cause corrèque je cause corrèque !

      Pour le film, s’il passe assez près de mon joli trou du cul du diable, j’irai. Je suis prêt à parier qu’on y trouvera pas l’indigne démagogie de celui de Bégaudeau.

      Je n’ai rien contre la personne de Meirieu (j’ai même eu avec lui un échange de courriels courtois à partir du blogue de Davidenkoff).

      Je ne suis pas assez doué pour être un théoricien ou pour apprécier à leur totale valeur les travaux des théoriciens.

      Mais je suis (enfin, j’étais) un homme de terrain, qui comme saint-Thomas ne croit que ce qu’il voit. Et ce qu’il a vu en matière de décadence, le pédagosisme excessif y avait sa part. On ne remontera pas la pente facilement et rapidement. Cette remontée ne se fera pas sans un retour à l’apprentissage systématique et méthodique des fondamentaux, si ingrat soit-il parfois. Et une restauration de l’autorité (pas l’autoritarisme d’adjudant mais une vraie autorité, fondée sur de la rigueur, de la compétence et de l’humanité). Le maître est le maître, l’élève est l’élève, cela donne à l’un et à l’autre autant de devoirs, mais des devoirs différents. Quand on voit la capacité de certains élèves, surtout les caïds*, à prétendre tout négocier ; quand on voit la lâcheté des administrations, capables d’aller jusqu’à désavouer un enseignant devant les parents ou devant les élèves…

      * J’aimerais bien écrire un article sur les enfants d’aujourd’hui, ces rois sans royaumes, ces narcisses tristes fabriqués par des adultes calculateurs, démissionnaires ou incapables d’être des adultes. Quand ils ont des conduites inacceptables, ils ne sont pas les seuls à en être responsables…

      athalouk

      12 février 2012 at 10 h 34 min

  6. Vu de l’extérieur, de la part de quelqu’un qui n’est pas « spécialiste » :

    Si j’ai bien compris, il y aurait d’un côté les « instituteurs style IIIème République », et de l’autre les novateurs, ceux qui cherchent à améliorer ? changer ? les règles pédagogiques, la place de l’enfant, individuellement, ou ensemble, ou les deux, l’individu, ou la classe en entier…

    Juste une chose, j’ai eu, petite fille, des instits formidables, je me souviens parfaitement de leurs noms (un peu moins de leurs visages), au lycée, j’ai eu de bons profs, et des mauvais (d’où je pense ma détestation des maths). Tous ces enseignants, je ne sais pas s’ils étaient de l’ancienne ou de la nouvelle école…. C’est sûr, il fallait apprendre, s’accrocher, se faire mal. J’ai eu de la chance, j’avais des parents communistes (rire) et j’aimais apprendre. C’est toujours vrai, d’ailleurs. Et beaucoup de mes petits camarades n’avaient pas cette chance.

    Ce qui me semble grave, à moi, la non-spécialiste, c’est l’appauvrissement du contenu de l’enseignement, sous couvert de « simplification » (sûrement pour que les « chiffres du bac » soient bons) pas seulement la manière dont on enseigne. Cela me semble aussi être une volonté délibérée de nos gouvernements : moins de savoirs, ou des savoirs plus pauvres, plus superficiels, ça veut dire à l’arrivée des adultes dépourvus de sens critique,

    Je trouve juste dommage cette dispute entre gens qui souhaitent finalement la même chose.

    Voilà, on est prié de ne patapé.

    Gavroche

    12 février 2012 at 10 h 17 min

    • Cet appauvrissement, on le doit aussi bien à la bande à Chatel qu’à… bon, je ne vais pas remettre du charbon dans la chaudière !

      Ce qui a fondé ma vision de mon travail, l’idée que je devais pousser à l’élitisme pour tous, c’est la scène suivante, au début de ma carrière. Soit un parent d’élève, homme d’entretien dans un château, avec qui j’avais eu une discussion passionnante. Arrive la réunion de parents de début d’année. Au premier rang (comme par hasard), une dame comme il faut sort des horreurs, mais en beau langage. Au dernier rang (ce n’est pas un hasard), Monsieur L… trépigne comme un diable dans un confessionnal. Huit jours après je le revois. Je lui demande :

      – Alors Monsieur L… pourquoi vous ne lui avez pas coupé le sifflet ?
      – Ah Monsieur B…, je savais pas comment le dire !

      Ce jour là, je me suis juré que mes élèves apprendraient « comment le dire », même si ça devait passer par des moments durs. Une conjugaison, vous commencez par l’expliquer, donner la raison de tel temps de tel mode de telle graphie. Mais après il faut l’apprendre par cœur, et sans la moindre erreur, Et mémoriser ça pour longtemps. Parce que « je viendrai » et « je viendrais », ça ne veut pas vraiment dire pareil.

      athalouk

      12 février 2012 at 10 h 50 min

    • « Ce qui me semble grave, à moi, la non-spécialiste, c’est l’appauvrissement du contenu de l’enseignement, sous couvert de “simplification” (sûrement pour que les “chiffres du bac” soient bons) pas seulement la manière dont on enseigne.  »

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      Mais justement cet appauvrissement dont tu parles, Gavroche, et qui est plus ou moins avéré (parce qu’on a allégé d’un côté et alourdi de l’autre) mais bon, ne chipotons pas là-dessus, cet appauvrissement donc n’est en aucun cas le fait de ceux que le camp « républicain/antipédago » nomme « les pédagogistes ou pédagogols ». C’est ça qui me met chaque fois en colère. Lisez la prose infâme d’un Brighelli bon sang de bois !
      Pour moi, un enseignant qui ne fait pas de pédagogie n’est pas tout à fait un enseignant. Les connaissances, le savoir, ça ne se transmet pas comme avec un simple coup de fil et la manière de transmettre, d’enseigner, ça s’appelle la pédagogie. Qu’on dénonce et qu’on se méfie des excès d’accord, sachant qu’on exagère dans les deux sens, celui du pas assez de péda et celui du trop.
      En plus, Athalouk et moi nous ne parlons vraisemblablement pas du même endroit, lui connaît bien le second degré (collège, lycée) et moi le premier degré (maternelle,élémentaire).
      Là où l’on se retrouve c’est sur la nocivité de la plupart des personnels mi-enseignants/mi-administratifs qui ont progressivement infiltré le système : conseillers pédagos de ceci/cela, inspecteurs régionaux ou départementaux (pour le 1er degré) recrutés sur des compétences disciplinaires mais pas pédagogiques, courroies de transmission de la vulgate ministérielle d’experts éloignés du terrain, démantèlement progressif de la recherche pédagogique de terrain au profit d’une universitarisation des formations initiales et continues (d’où le malaise des iufm et leur inadaptation progressive jusqu’au ko final).
      Aujourd’hui, comme le regrette Florence, il n’y a plus rien, puisque tout est par terre (et quel camp peut s’enorgueillir de la mort des iufm ?).Saura-t-on créer des structures de formation sachant former en nourrissant le lien théorie/pratique qui est le moteur de n’importe quel métier ? Peut-on envisager une formation des enseignants sans formation à la pédagogie générale, aux didactiques disciplinaires, à la psychologie de l’enfant et de l’adolescent, à la dynamique de groupe ?

      Personnellement, j’ai appris l’essentiel de mon métier d’instit en militant dans différents mouvements pédagogiques et d’éducation populaire d’une part et en poursuivant des études universitaires après ma formation de normalien sur mon temps personnel. Je ne tiens ce parcours ni pour la panacée et n’en tire aucune gloire. Mais je suis fier, riche et heureux de toutes les rencontres que cela m’a permis de faire. Certaines personnes, à mes yeux admirables, se retrouvent aujourd’hui encore la cible de quolibets et de ricanements de la part de ceux pour qui le mot pédagogie semble être vécu comme un gros mot, responsable de tous les maux, et ça, je ne l’accepterai jamais sans réagir.

      Ce qui me semble menacer l’école aujourd’hui, en France comme presque partout ailleurs, ce n’est pas tant l’appauvrissement des contenus (savoirs et savoir-faire) mais leur marchandisation. Faire de l’école une entreprise, de ses profs des contremaîtres, des élèves de futurs apprentis à tout faire, des parents des clients consommateurs de produits scolaires et éducatifs.
      Quand on pense que l’école est l’affaire de tous, on mesure le chemin à parcourir, la montagne à gravir, bref, le défi à relever !

      julesansjim

      12 février 2012 at 11 h 11 min

      • La marchandisation et l’appauvrissement vont de pair … A mon avis.

        Pour les gens qui nous gouvernent, « une postière n’a pas besoin de lire la Princesse de Clèves »…
        Une postière, elle a juste à rester à sa place. Et moins elle en saura, mieux ça vaudra pour le système.
        Moins les gens seront qualifiés, plus ils seront remplaçables-jetables.
        Moins les gens seront cultivés, plus ils seront manipulables.

        Alors, du coup, les querelles comme la vôtre deviennent … toutes relatives. Parce qu’il y a du vrai des deux côtés. C’est juste les moyens d’arriver au but qui diffèrent.

        Par exemple, je suis assez d’accord avec Athalouk quand il parle des enfants comme des « rois sans royaume ». Et hélas, beaucoup de gens le restent …

        Gavroche

        12 février 2012 at 11 h 26 min

      • //Athalouk et moi nous ne parlons vraisemblablement pas du même endroit, lui connaît bien le second degré (collège, lycée) et moi le premier degré (maternelle,élémentaire).//

        Avant même d’enseigner, j’ai eu la chance de remplacer, un après-midi par semaine (pour qu’il puisse faire sa paperasse), un directeur d’école primaire dont la classe était composée de « fins d’études » c’est à dire de gosses n’ayant pas eu « le niveau » pour aller en 6°. Il m’avait dit un jour : tu vois, ils font 30 fautes par dictée en moyenne. Eh bien, si à la fin de l’année ils n’en font plus que 20, ça me va (alors qu’à l’époque, en faire plus de 5 était éliminatoire).

        Chance car cela m’a rendu respectueux du travail de mes collègues du primaire.

        N’empêche que je voyais arriver tous les ans des mômes « en friche » et sans aucune estime d’eux-mêmes. Pourquoi ? Souvent parce qu’ils avaient raté une année cruciale (incompatibilité avec l’enseignant, voire faute de celui-ci, personne n’est parfait, succession d’enseignants pour cause de congés ou de maladie ; ou encore, événements familiaux). Et que cette cassure s’était accentuée dans des classes surchargées. Je m’avance peut-être sans biscuits, mais selon moi une clase de primaire ne devrait pas dépasser 20-25 élèves !

        (Infâme, Brighelii ? Attendez, ne le traitez pas comme vous déplorez qu’on traite Meirieu !)

        PS Sur la façon dont les princes qui nous gouvernent cassent l’école du peuple, j’ai une métaphore animale : dans certaines espèces, les dominants tuent la progéniture des dominés pour que la leur profite bien. Symboliquement, on en est là. Voir comment Sarko (sans doute pour se faire pardonner d’avoir été un piètre père) surprotège le scooterroriste et le dijdji ! Relire aussi Pinçon et Charlot chez les riches, sur la façon dont se transmettent les bons plans de parents à enfants.

        athalouk

        12 février 2012 at 11 h 42 min

  7. « les querelles comme la vôtre deviennent … toutes relatives.  »

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    Ce qui relativise surtout nos querelles c’est, à mon avis, que l’Ecole, avec un E majuscule, n’est plus le seul média de formation et d’acculturation. Et même je dirai qu’elle est dépassée, surpassée dans sa fonction première. La société en devenant multimédiatique est aussi devenue une sorte d’immense école parallèle.
    Et ça commence très tôt. Dès la maternelle, il n’est pas rare de rencontrer aujourd’hui des parents qui mettent leur jeune enfant « en garderie » à l’école pendant qu’ils sont eux au travail et qui, ensuite, le soir, le week-end ou pendant les vacances donnent des leçons d’écriture, de lecture, de calcul à leurs gamins de 4 ans en ayant recours à des jeux éducatifs, des jeux sur internet ou sur console vidéo.
    Lorsqu’ils sont plus grands, à mesure que leur autonomie affective et cognitive s’accroît, on écoute de moins en moins ou de plus en plus distraitement les profs et on regarde de plus en plus ses écrans (ordi, t°…)

    D’ailleurs, nos « querelles », je ne les trouve même pas « relativisantes », je les trouve affligeantes et épuisantes. Pour tout dire. Entre ex profs en plus…

    😦

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    + J’ajoute, à propos des « rois sans royaume » que c’est aussi le point de vue du film ou de son réalisateur.

    julesansjim

    12 février 2012 at 11 h 43 min

  8. « Infâme, Brighelii ? Attendez, ne le traitez pas comme vous déplorez qu’on traite Meirieu ! »

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    Attendez, Atahalouk, vous l’avez lu cette brute épaisse ? (ex maoïste reconverti dans le républicanisme intégriste ! prof agrégé aux salaires multi-cartes qui ricane bien au chaud depuis son lycée parisien bien fréquenté ou sur les plateaux de télévison amateurs de grandes gueules démagos)
    Vous voulez que je vous copie-colle quelques-unes de ses saillies glanées ici ou là sur les forums qui tirent sur tout ce qui bouge qui ressemblerait à un enseignant en recherche pédagogique ? Vous pourrez alors comparer avec la façon avec laquelle Meirieu conteste les idées de ses contradicteurs, sans jamais être insultant ou méprisant, lui, pour les personnes. Je l’ai même trouvé parfois bien trop gentil voire mou du genou, figurez-vous ! Bien trop gentil Meirieu, presque bon avec un c.. Espérons que son détour par la politique (EELV) l’aura quelque peu endurci.

    julesansjim

    12 février 2012 at 11 h 58 min

  9. Que l’école ne soit plus le lieu principal de l’acquisition du savoir, ça commence effectivement à se voir. Les enseignants doivent-ils faire comme s’ils l’ignoraient et rester dans un royaume sans sujets, ou s’y résigner et culpabiliser de rappeler des exigences qu’ils n’ont pas inventées et n’ont pas le pouvoir de modifier (parce que, jusqu’à preuve du contraire 2 et 2 font toujours 4, pas 3,9 ou 4,1) ?

    Ce n’est plus à moi de chercher la réponse.

    (Sur le point précis des écrans : bon endroit où s’exerce le faux pouvoir des rois sans royaume. Ils savent effectivement cliquer, surfer, copier-coller. Mais analyser la masse d’informations fournies par Gogol, heu, pardon, Google, la hiérarchiser, la mettre en perspective, la critiquer, c’est un art qui ne s’apprend pas en cliquant)

    athalouk

    12 février 2012 at 12 h 48 min

    • A propos d’art, je vous livre cette phrase, lue sous la plume d’une chercheuse en éducation, spécialisée dans les questions de lecture et de littérature jeunesse :

      « Enseigner cessera d’être un art le jour où apprendre cessera d’être un mystère. »

      Il y a là matière à méditer… et à rester humble devant la tâche non ?

      🙂

      julesansjim

      12 février 2012 at 15 h 07 min

      • (Je n’ai pas vu le film.)
        Humble, oui, ne serait-ce que parce qu’il y a toujours, en situation, des surprises. Des bonnes comme des mauvaises.

        florence

        12 février 2012 at 15 h 30 min

      • “Enseigner cessera d’être un art le jour où apprendre cessera d’être un mystère.”

        Ah apprendre… on ne mène pas un chien à la chasse à coups de bâton, on n’oblige pas un enfant à apprendre.

        Mais on vit dans un pays où la loi fait obligation d’instruire les enfants. Cela peut se faire en « homeschooling », mais la chose n’est pas à la portée de tout le monde, ni exempte de dérives sectaires, j’ai des exemples en mémoire. Mais majoritairement, dans des écoles en principe sous l’autorité de l’Etat. Alors, comment s’y prendre avec un enfant bloqué ? Comment sinon en cherchant où ça coince avec patience et humilité ? En lui laissant du temps pour évoluer ? En lui accordant le droit de ne rien faire* ? OK mais à la fin de l’année scolaire, on fait quoi ?

        * Ce que j’ai fait un jour dans un centre aéré, où un gosse s’est planté devant moi, furieux, en me disant : moi je ne ferai rien ! Mais c’était dans un centre aéré, où ni lui ni moi n’avions quelque obligation de résultat…

        athalouk

        12 février 2012 at 15 h 38 min

  10. « Alors, comment s’y prendre avec un enfant bloqué ? Comment sinon en cherchant où ça coince avec patience et humilité ? En lui laissant du temps pour évoluer ? En lui accordant le droit de ne rien faire ?
    OK mais à la fin de l’année scolaire, on fait quoi ? »

    ************************************
    C’est notamment l’un des principes de la philosophie éducative qui a fondé le lycée autogéré de Saint-Nazaire (cf Gabriel Cohn-Bendit) toujours en activité aujourd’hui semble-t-il.(*)
    « Laisser le désir d’apprendre advenir » c’était plus tôt encore l’un des principes énoncé par Neill dans « Libres enfants de Summerhill »

    (*) http://lycee.experimental.pagesperso-orange.fr/Inde.html

    julesansjim

    12 février 2012 at 21 h 41 min

  11. Une émission passionnante sur LCP-Public-Sénat sur l’école en France, en Finlande, avec la participation de Philippe Mérieu ;-)) http://www.publicsenat.fr/vod/documentaire/l-ecole-a-bout-de-souffle/71763

    bysonne

    19 février 2012 at 17 h 08 min

    • Merci Bysonne, j’ai regardé des bouts de cette émission. Si tu souhaites approfondir le « cas Meirieu » je te suggère dans un 1er temps d’aller faire un tour sur le blog « Interro écrite » de Cédelle, où celui-ci a mis des extraits non publiés d’un livre à venir « Un pédagogue dans la cité »., et puis, éventuellement, d’aller plus loin encore en lisant les échanges entre le pédagogue et cet excellent spécialiste éducation qu’est Luc Cédelle.

      http://education.blog.lemonde.fr/

      julesansjim

      19 février 2012 at 18 h 32 min


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