LES VREGENS

Créateurs de richesse?

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Surprise : un laborieux épluchage de chiffres par le New York Times démontre que les preneurs d’otages ne sont pas les vilains syndicalistes, mais les gentils « créateurs de richesse », vous savez, les entreprises. Voici un digest, car l’article est très long.

L'usine General Motors de Ypsilanti après 200 millions de dollars d'avantages fiscaux

L’usine General Motors de Ypsilanti après 200 millions de dollars d’avantages fiscaux

Quand General Motors a publié la liste des usines qui allaient fermer, il y a trois ans, au moment de sa faillite, les collectivités locales qui s’étaient crues partenaires se sont retrouvées en ligne de mire. Depuis des années, des Maires et des Gouverneurs en lutte contre le chômage offraient à GM des liquidités, des locaux gratuits, la formation du personnel, des réductions d’impôts. En 2007 encore, GM déclarait que « ces avantages fiscaux renforçaient leurs relations et que ce serait donnant-donnant » (procès-verbal d’un conseil municipal du Michigan). Et pourtant, au moins 50 des sites fermés en 2009 se trouvaient dans des communes ou des États qui avaient accordé de tels avantages, se montant à des milliards de dollars publics.

Certaines collectivités, prêtes à tout pour retenir GM, ont fait des offres plus importantes : l’Ohio a proposé 56 millions pour garder l’usine de Moraine, et le Wisconsin 153 millions pour celle de Janesville. En vain. GM est parti, et grâce au plan de renflouement fédéral, est de nouveau bénéficiaire. Pas les villes, qui ont épuisé leurs réserves pour préserver des milliers d’emplois aujourd’hui disparus.

La commune d’Ypsilanti (Michigan) poursuit GM en justice. « On ne peut pas faire des promesses pareilles et les oublier comme des pièces au fond d’un tiroir, » déclare son avocat. C’est pourtant ce que font des entreprises de tout le pays.

Le NYT a mené l’enquête pendant 10 mois, et fait les comptes : les États, les comtés et les villes accordent 80 milliards par an en avantages fiscaux aux entreprises. Tous les secteurs en bénéficient, y compris les conglomérats pétroliers, les entreprises high-tech, l’industrie du spectacle, les banques, et les grandes chaînes de restauration. Le coût de ces aides est impossible à estimer, car elles proviennent de milliers de collectivités, et on ne sait pas combien d’emplois sont vraiment créés, et combien l’auraient été sans elles.

Pour rechercher les chiffres par entreprise, par État, par commune, le NYT a créé une base de données sur le sujet: Explore the data

Il en ressort que les Maires et les Gouverneurs, cherchant à tout prix à créer des emplois, se retrouvent face à des multinationales et n’ont pas les outils pour vérifier ce que celles-ci leurs disent. Sans compter qu’elles menacent de se délocaliser à l’étranger. Au fil des années, les grandes entreprises ont mis les collectivités en concurrence afin d’obtenir de meilleurs cadeaux fiscaux : c’est État contre État, centre-ville contre banlieue, et même petite ville contre petite ville.

L'usine GM de Moraine le jour de sa fermeture en 2008

L’usine GM de Moraine le jour de sa fermeture en 2008

Et pourtant, ces cadeaux des collectivités locales n’apparaissent pas dans le débat économique à Washington. Dans les discussions sur la dette, on ne se demande pas s’ils en valent la peine. Alors que dans bien des cas, ces réductions d’impôts représentent une grande part des dépenses : par exemple, l’Oklahoma et la Virginie Occidentale ont abandonné des sommes correspondant à 1/3 de leur budget. Certains États ne sont pas dans ce cas, mais ce sont ceux qui ont déjà de très faibles impôts sur les sociétés.

Les secteurs concernés sont d’abord l’industrie, puis l’agriculture. Viennent ensuite le secteur pétrolier et minier, puis le film. La technologie est juste derrière, depuis que Twitter et Facebook demandent des avantages fiscaux et que les collectivités parient sur la rentabilité à long terme.

Autrefois, c’est l’industrie automobile qui mendiait, depuis des décennies. C’est elle qui a inauguré ces pratiques dans lesquelles tout le monde s’est engouffré. Le premier bénéficiaire en est toujours GM (1,7 milliards en cadeaux de collectivités locales en 5 ans), suivi par Ford et Chrysler. Selon un porte-parole de GM : « Les fermetures d’usines ont des causes complexes. Mais ça ne veut pas dire que les populations n’y ont pas gagné, tant que ces usines tournaient, ce qui a été le cas pendant des générations ».

Quand on les interroge sur ces cadeaux, des dirigeants d’autres grandes entreprises soutiennent qu’ils doivent à leurs actionnaires d’augmenter les profits. Et qu’ils emploient des Américains qui payent des impôts et dépensent leur argent, ce qui fait tourner l’économie locale. M. Hitt (Secrétaire au Commerce en Caroline du Sud) estime qu’à long terme, cela génèrera des recettes fiscales. Son État s’est récemment endetté à hauteur de 218 millions pour y aider Boeing, et a offert des réductions d’impôts sur 10 ans à cette entreprise. Comme la plupart des élus, M. Hitt a un mandat court. Il faudra attendre des années pour savoir si l’État a eu raison de parier sur Boeing. « Je ne vois pas ce qu’on y perd, » dit M. Hitt, qui travaillait pour BMW dans les années 90 et lui a obtenu 130 millions de l’État de Caroline du Sud.

Bobby Hitt nommé Secrétaire au Commerce de Caroline du Sud en 2010, "un signal fort aux entreprises"

Bobby Hitt nommé Secrétaire au Commerce de Caroline du Sud en 2010, « un signal fort aux entreprises »

Un cadre de Hallmark à Kansas City estime que ces aides publiques sont mauvaises pour la ville, car elles sont prises sur le budget de l’éducation. « Ça ne créée pas d’emplois. C’est juste des hommes politiques qui cherchent à dire qu’ils créent de l’emploi. » À Kansas City, les choses se compliquent du fait que la ville est à cheval sur le Kansas et le Missouri. Dès que l’un attire une entreprise par des cadeaux fiscaux, l’autre réplique avec une autre. À chaque fois, ces entreprises ne font que déménager leur siège de quelques kilomètres. « Ce que je fais me rend malade, » déclare le vice-président du Conseil Municipal de Kansas City. Ça devrait être interdit. » L’an dernier, le Kansas a accordé 36 millions à AMC Entertainment, et baissé son budget éducation de 104 millions.

La main d’oeuvre est indispensable à toute entreprise, mais on la considère de plus en plus comme une dépense qu’il revient au contribuable de subventionner. Même les hôtels, dont la raison d’être dépend de leur lieu d’implantation, menacent de déménager faute d’avantages fiscaux.

Ces avantages prennent plusieurs formes : des liquidités, des prêts, des réductions d’impôts sur les ventes, d’impôts sur le revenu, et de taxes foncières. AIG, l’assureur qui a été au coeur de la crise financière de 2008, a continué à bénéficier d’une ristourne de 23,8 millions de la ville de New York, alors même que le gouvernement fédéral le renflouait à hauteur de 180 milliards !

Depuis 2000, le New York Times a reçu plus de 24 millions de la ville et de l’État.

Certaines municipalités n’ont pas les moyens de négocier, quand elles se retrouvent face à des géants comme Shell, Apple ou Hewlett-Packard, qui dictent leurs conditions. Shell a reçu un crédit d’impôts de 1,6 milliard sur 25 ans par la Pennsylvanie, mise en concurrence avec l’Ohio et la Virginie. Caterpillar vient d’annoncer l’ouverture d’une nouvelle usine en Georgie, qui lui a accordé 44 millions en avantages fiscaux. Caterpillar qui vient de geler les salaires d’ouvriers de plusieurs sites pour six ans « pour rester compétitif ».

Le Gouverneur de Georgie prend la pose Caterpillar

Le Gouverneur de Georgie prend la pose Caterpillar

La Californie est l’un des rares États qui ne joue pas ce jeu, mais ses villes, si. C’est ainsi que San Francisco a accordé 22 millions en réduction sur les « charges » sociales à Twitter, qui menaçait de déménager. Pourtant, Twitter a aussi reçu 300 millions d’un prince saoudien et 800 millions d’un consortium privé, contre des actions. San Francisco n’a reçu qu’une prévision de création d’emplois, sans garantie. Comme d’autres, San Francisco réduit son budget depuis des années. Le poste des espaces verts a perdu 12 millions ces dernières années, mais les employés de Twitter pourront profiter du luxueux jardin de ses nouveaux locaux.

C’est GM qui avait lancé ces pratiques en 1985, en mettant 30 États en compétition, car c’était l’entreprise à avoir sur son territoire, comme Twitter aujourd’hui. Finalement, GM avait choisi le Tennessee, qui n’était pas le plus offrant mais un des moins endettés. Mais la course était lancée, et une fois que certains États jouent à ce jeu, difficile de refuser pour les autres. En 1993, United Airlines a mis 90 villes en concurrence : « La compagnie aérienne a organisé la négociation dans un hôtel, et ses représentants courraient d’étage en étage pour comparer les offres, » se souvient Jim Edgar, alors Gouverneur de l’Illinois. « Je sais bien qu’on reproche aux entreprises ces avantages fiscaux, estime Mme Nix,  ancienne responsable de l’immobilier chez GM, mais c’est envers les actionnaires qu’on est responsables. Tant qu’on nous fait des offres plus avantageuses, la direction se doit, pour les actionnaires, de les accepter. »

Mme Nix, "responsable envers les actionnaires"

Mme Nix, « responsable envers les actionnaires »

Pour les communes, c’est une question de survie, même si c’est un mirage. En 1997, Moraine (Ohio) a accordé des avantages fiscaux à GM, déjà implanté sur son territoire mais qui voulait s’agrandir, et qui envisageait de le faire sur plusieurs autres communes. Après l’accord, la ville de Moraine a découvert qu’il n’y avait jamais eu de projet sur les autres communes. L’usine de Moraine a fermé en 2008. « Le problème, estime l’ancien président de la Chambre de Commerce de Shreveport (Louisiane), c’est qu’on se remet entre les mains de gens qui sont censés savoir ce qu’ils font. Et parfois ce n’est pas le cas. » Après avoir aidé GM en 2000, la municipalité n’a cessé d’alerter l’entreprise sur la nécessité d’investir dans les voitures électriques. Mais GM a pris l’argent, pas les conseils : ils ont lancé la Hummer, puis abandonné le modèle en 2010 et fermé l’usine de Shreveport cet été.

Cela fait vingt ans que l’avocat Doug Winters se bat contre GM pour la ville d’Ypsilanti. Sa grand’mère et son père y ont travaillé sur les chaînes de montage de GM. Ce qui le met en colère, c’est que GM demande des aides publiques, et brandisse ensuite la libre concurrence pour mettre la clé sous la porte. Les demandes de la ville restent pour l’heure sans réponse. La faillite de GM a tout compliqué : légalement, c’est dorénavant une nouvelle entreprise, libérée des dettes et des engagements de l’ancienne.

Doug Winters, en rogne depuis 20 ans

Doug Winters, en rogne depuis 20 ans

L’article complet : As Companies Seek Tax Deals, Governments Pay High Price

 

Written by florence

2 décembre 2012 à 14 h 29 min

Publié dans économie, Etats-Unis, Société

3 Réponses

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  1. […] Surprise : un laborieux épluchage de chiffres par le New York Times démontre que les preneurs d’otages ne sont pas les vilains syndicalistes, mais les gentils « créateurs de richesse », vous …  […]

  2. Moralité : « GM-MITTAL même combat ! »

    Quant à la « rogne » que ça provoque… j’ai dans la tête les propos de Sœur Parisot s’étranglant en criant au scandale devant l’évocation d’une nationalisation à Florange. Tandis que les mots « chômage » et « licenciement » ne lui font ni chaud ni froid !

    Juléjim

    3 décembre 2012 at 15 h 45 min

  3. […] Surprise : un laborieux épluchage de chiffres par le New York Times démontre que les preneurs d’otages ne sont pas les vilains syndicalistes, mais les gentils « créateurs de richesse », vous .savez, les entreprises…   Le NYT a mené l’enquête pendant 10 mois, et fait les comptes : les États, les comtés et les villes accordent 80 milliards par an en avantages fiscaux aux entreprises. Tous les secteurs en bénéficient, y compris les conglomérats pétroliers, les entreprises high-tech, l’industrie du spectacle, les banques, et les grandes chaînes de restauration. Le coût de ces aides est impossible à estimer, car elles proviennent de milliers de collectivités, et on ne sait pas combien d’emplois sont vraiment créés, et combien l’auraient été sans elles.  […]


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