Un exemple de la privatisation de la santé
Vous l’avez sans doute appris, le type qui a fait barrage au mois de mai dernier est en train de « réformer » le Code du travail. Avec la bénédiction du Conseil constitutionnel, ce qui n’est pas vraiment une surprise, vu la liste de ses membres.
Et même si on en parle pas dans lémédias, ou si peu, le type qui a fait barrage va faire mieux que ça : il va privatiser le service public. Un article très intéressant en parle sur ce lien.
C’est, paraît-il, pour « financer l’innovation ». Sachant que depuis 30 ans, « innovation », c’est l’autre mot pour dire « remplir le portefeuille des actionnaires et autres grands patrons », comme je le racontais déjà dans ce billet.
Alors, certains d’entre vous le savent, mon cher et tendre a subi une grosse opération au début du mois de juin : un triple pontage coronarien. Dans un hôpital public, Haut-L’Evêque, à Bordeaux.
L’équipe médicale était formidable.
A commencer par le chirurgien, le Dr Oses, qui est non seulement compétent, mais qui est aussi un être humain, un vrai, de ceux qu’on aime : il est à l’écoute, il rappelle les familles angoissées, il sourit (et même se marre), il est sur le pont de 7 heures du mat (au moment où le patient est sur la table) jusqu’au soir 22 heures, où il va lui même voir si tout va bien. Son équipe et lui se tutoient.
Là bas, en réa, c’était comme dans Urgences. Des écrans partout, où tout est mesuré, surveillé, la tension, la fréquence cardiaque, la cicatrisation, et tout le reste, dont j’ignore l’usage. Les kinés (dont celle que j’ai vue, une belle fille assise sur le lit et qui lui tenait la main) sont là, les diététiciennes, les psys, les infirmières, les aides soignantes, un essaim de bonnes volontés souriantes et humaines autour de la pauvre chose alitée et pas en forme.
Et cerise sur le gâteau, la bouffe était bonne, même si le picrate était (évidemment) proscrit… Le paradis n’existe pas.
Certes ce fut dur, après un épisode de « fibrillation auriculaire » (le truc savant pour dire que le palpitant se met d’un coup à battre la breloque) et une déprime post-op (quand on se voit partir de l’autre côté, hein), grâce à l’équipe de toubibs, tout est rentré dans l’ordre, et j’ai retrouvé mon bonhomme plein de projets, et avec l’envie de s’accrocher.
Mais pour sa rééducation, il est allé dans une clinique privée, à Libourne. Cette clinique porte le nom d’un grand médecin persan, Avicenne, qui doit se retourner dans sa tombe. Nous avions choisi cette clinique pour sa (relative) proximité avec notre home sweet home, parce que les « déserts médicaux », ici, dans la France profonde de tout en bas, on connaît.
Et puis, la brochure publicitaire était idyllique.
Cette clinique appartient au « groupe Colisée », qui « gère » une infinité d’établissements de ce genre (centres de rééducation, maisons de retraites, etc) et qui est le résultat de diverses fusions entre différentes sociétés, Korian ayant racheté Médica en 2014, le tout racheté/sponsorisé par IK Partners (j’avoue que je ne m’y retrouve guère, là-dedans), la patronne de ce nouveau groupe, appelé Colisée, est une certaine Christine Jeandel.
Voilà ce qu’on trouve dans le registre des sociétés :
Beaucoup de pognon … et de cynisme.
Quant à Madame Jeandel, la voilà :
Il paraît qu’elle dirige … plus de 120 entreprises
Il y a des gens qui n’en ont jamais assez.
En tous cas, quasiment toutes les occurrences au sujet de cette dame n’évoquent jamais les gens, ou les patients, ou les malades, ou les vieux. Non. Elles parlent d’argent, d’investissements, de partenaires financiers, comme par exemple là :
ou là :
C’est simple, ça m’a rappelé mon billet sur les frères Dalton-Sarkozy.
Parce qu’en vrai, quand on est sur le terrain, avec les gens, les malades (ces investissements potentiels en quelque sorte) il y a un vrai changement de programme et d’ambiance :
La clinique est située paraît-il au bord d’un plan d’eau, toujours selon la brochure publicitaire. En réalité, elle est plantée entre un hôtel Formule 1 et un Buffalo Grill, les chambres ont une vue superbe sur un parking mité, avec en face une « résidence » aux façades quelque peu pisseuses, la pelouse vaguement verdâtre est envahie de mauvaises herbes et de mégots, et il n’y a évidemment pas un arbre sur le dit parking … Le « plan d’eau », lui, est entouré d’une grillage, donc impossible pour les résidents d’aller se promener autour.
Dans le hall, une personne est à l’accueil, jusqu’à 17 h 30, du lundi au vendredi, après – sans même parler des week-ends – pour avoir quelqu’un, même au bout du fil, ce n’est pas la peine d’essayer.
L’escalier menant à l’étage est situé derrière un « mur végétal » (dixit sans rire la personne à l’accueil), dont les plantes sont d’une jolie couleur paille sèche, et crèvent de soif, quand elles ne sont pas carrément mortes.
Au premier, les couloirs sont déserts, la lumière terne, le silence absolu, les portes fermées.
Une aide soignante apparaît soudain, rigolarde. De retour à la maison, j’apprendrai que cette même personne avait tout bonnement « oublié » mon homme pour le déjeuner de la veille, et que ne voyant rien venir, il était descendu – seul – le long du couloir, puis dans l’ascenseur, puis jusqu’au réfectoire, où il avait mangé un couscous froid, alors que les autres patients étaient déjà repartis. L’aide soignante que je trouvais sympathique…
Résultat des courses : à sa sortie de l’hosto, j’avais retrouvé un bonhomme à peu près en forme compte-tenu de son opération, avec le moral, et décidé à vivre. Au bout d’une semaine de présence dans cette clinique, il n’avait vu le médecin qu’une fois (pour une écho cardiaque, cinq jours après son arrivée), il n’avait pas vu de diététicienne, ni de kiné de toute la semaine. Il a vu une « psy » pendant un quart d’heure, pour laquelle tout était pour le mieux dans le meilleurs des mondes, amen… Il ne dormait qu’en pointillé et passait sa vie devant la télé (plus l’énergie de faire quoi que ce soit d’autre) il avait une infection urinaire qui durait depuis l’hôpital, un traitement antibio de cheval qu’il ne supportait pas (les antibios étaient donnés puis arrêtés sans qu’on ait vérifié s’il en avait besoin ou non, et les analyses de contrôle n’étaient pas faites, forcément, vu qu’on se réveillait la veille d’un week-end).
Et pire, au bout d’une semaine, il n’avait pas commencé le moindre exercice de rééducation, même respiratoire, sans même parler d’une simple promenade « au bord de l’eau » (en fait autour du parking en plein cagnard). Ce qui, de l’avis général, allait retarder voire carrément compliquer son rétablissement.
Lors de ma première visite là-bas, en trois heures de présence, c’est simple, je n’ai vu une infirmière qu’à la fin de ma visite, et seulement parce que passablement en rogne, j’ai fini par franchir une des portes marquées « salle de soins » (en fait un bureau avec un ordinateur) et j’avais exigé de voir le médecin. Et ça, après avoir découvert que LE médecin en question était seulement une « remplaçante », qu’elle avait enfilé une blouse laissée là par la « cadre de santé » (le mot élégant pour dire infirmière en chef) et que personne ne connaissait son nom …
Un médecin donc, ce jour là, pour 77 lits. Un jeune kiné qui est passé dans le couloir, une aide soignante, et une infirmière qui devait avoir à peu près 2 de tension, et la réflexion d’une huître. Il faut souhaiter qu’ils n’aient jamais deux pépins graves en même temps, dans cette taule.
Enfin, j’ai fini par apercevoir le médecin, cinq minutes entre deux portes, ou plutôt une petite bonne femme exténuée, le teint pâle, qui s’est quand même décidée à venir me voir : il faut dire que j’ai entendu l’infirmière lui dire que la femme de M. C. était une emmerdeuse…
Et à propos d’emmerdeuse, c’est moi qui ait du suggérer à tout ce beau monde un régime approprié : pas de jus d’orange, pas de lait, pas de crudités, ni de compote de pruneaux (si, si) pour quelqu’un qui a la courante. J’ai du suggérer (exiger) un comprimé d’immodium. Et je ne suis ni infirmière, ni diététicienne, ni médecin. J’ai juste un peu de sens commun.
Dans la suite, ça n’a pas été franchement mieux.
- J’ai découvert que sur quatre médecins (tous à peu près spécialisés cardio, éventuellement pneumo, et rien d’autre) deux étaient en maladie, et remplacés pour un mois ou deux. Résultat : en un mois et demi, mon homme a eu 4 médecins différents pour suivre son « dossier », dont deux étrangers, qui parlaient assez mal notre langue, idéal pour communiquer…
- Sur le suivi médical : sachant que beaucoup de patients qui sortent de l’hôpital présentent souvent (par exemple) des infections urinaires post-op dites « nosocomiales », rien n’était vraiment prévu, ni anticipé. Sauf à réagir dans l’urgence en cas de problème. Ainsi, il a fallu que nous prenions nous-mêmes un rendez-vous en urgence auprès d’un urologue, trois semaines après le début de son séjour…
- La diététicienne, préformatée, un vrai poème, du genre « cinq fruits et légumes par jour » et « les bienfaits des produits laitiers »… A part ça, rien. Il a fallu pleurer un flacon de boisson énergétique (deux, c’était exagéré … et trop cher !) Et douze kilos de moins pour le bonhomme à l’arrivée…
- Quant à la rééducation, la clinique fait apparemment feu de tout bois pour remplir les caisses : outre les « résidents » permanents, elle reçoit une bonne quarantaine de personnes en « ambulatoire », c’est à dire qui arrivent le matin, et repartent le soir. Le résultat ? Pour pouvoir faire 20 minutes de vélo avec un kiné, il faut de la patience (ou arriver une demi-heure avant la séance) parce que les places sont chères…
- Dernière avanie, malgré la prise en charge de notre mutuelle, la facture de fin de séjour nous a donné des couleurs : 500 euros, rien que pour la télévision et le téléphone…
Alors, poursuivant mes recherches, j’ai trouvé les avis des salariés, anciens et nouveaux, de ces idylliques « établissements de santé ». Visiblement les employés ne sont pas mieux lotis que les malades, baptisés « clients » :
Les avis syndicaux :
Et les autres, émanant de salariés ou ex salariés, quasiment unanimes :
Voilà. La privatisation de la santé, c’est ça.
Alors, j’imagine que Madame Jeandel et les actionnaires de son groupe auront les moyens de se payer des domestiques pour les nourrir à la petite cuillère et leur changer leurs couches. En cas de besoin. Et ils le feront avec notre pognon. Celui de la Sécu, celui de nos cotisations (que les patrons appellent des « charges », et moi de la solidarité), celui de l’État (et donc de nos impôts) qui subventionne grassement.
J’espère que vous êtes contents d’avoir voté pour le banquier à cravate, parce qu’il ne fait aucun doute qu’à moins de mourir milliardaire (ou d’un seul coup, à la maison, en mangeant notre yaourt de chez Lideul) c’est dans ce genre d’endroit que nous crèverons tous, vous, moi, nous, les sans-dents et autres loosers. Enfin, si la sécu n’a pas disparu entre temps.
Comme en Amérique. Tiens, j’ai revu le film de Michael Moore, Sicko. Et je me suis dit que nous n’en avions plus pour longtemps avant que ces messieurs les banquiers politiciens nous bouffent à la même sauce que leurs potes amerlocains. Sarko l’avait commencé, Hollande a gentiment continué, Macron va achever le boulot. Et nous avec.
Perso, si j’ai une attaque, je ne veux pas être réanimée. Parce que se couper un bras fait moins mal avec un couteau bien affuté qu’avec une scie ébréchée.
Dans le service public, les chambres ne font peut-être pas 20 m², l’hôpital n’est pas forcément « au bord d’un lac », mais il y a des êtres humains autour des malades. Et des équipes médicales dignes de ce nom. Et au moins, là, nos impôts et nos cotisations servent à quelque chose : le bien public, le bien commun, notre bien.
rien à ajouter ……………………………… et pourtant …
randal
7 septembre 2017 at 16 h 43 min
[…] Un exemple de la privatisation de la santé (cafemusique.wordpress.com) […]
Khrys’presso du lundi 14 février 2022 – Framablog
14 février 2022 at 7 h 44 min