LES VREGENS

Y’aura t-il encore des poètes ?

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J’en doute. C’est inutile, un poète. Pas raisonnable.1968, ça fait un bail. Hélas.

De l’échange de commentaires sur mon dernier billet à propos des neurosciences, j’ai tiré la conclusion que le célèbre « grand débat » sur un sujet fondamental n’est finalement toujours pas réglé : celui de l’inné (la biologie) et de l’acquis (la sociologie).

L’inné, c’est par exemple, la couleur des yeux (en gros l’hérédité) et l’instinct : le nouveau-né qui trouve le sein immédiatement après sa naissance (expérience vécue). Exactement comme n’importe quel mammifère.

L’acquis, c’est ce qui fait de nous des êtres humains : des animaux sociaux. Notre relation aux autres, notamment par l’acquisition du langage, le contexte, l’environnement, les rencontres que nous faisons.

Les « enfants sauvages » restent des animaux, marchent à quatre pattes, n’ont pas de langage, et ne peuvent pas l’acquérir par la suite, ou alors très difficilement, et de manière très incomplète. A priori, ils ont pourtant le même cerveau que n’importe qui.

Je ne suis pas fan des neurosciences, pour beaucoup de raisons :

– Ce sont toujours les puissants qui ont décrété que nous étions prédestinés, que le monde avait un ordre : les serfs étaient condamnés à le rester, et les aristocrates l’étaient de droit divin.

Et ça a commencé par la religion (chacun à sa place, c’est Dieu qui le veut, et consolez-vous, derniers de cordée, vous serez les premiers là-haut) et on continue aujourd’hui avec des ministres de droite, et pas seulement en France.

– cette théorie est loin d’être scientifiquement prouvée, que je sache l’étude du cerveau humain n’en est encore qu’à ses balbutiements, et donc le ton péremptoire des « experts » à ce sujet ne représente que leur avis personnel, voire le reflet d’une idéologie (parfaitement) et non une vérité intangible.

En réalité, les « arguments » des adeptes des neurosciences ne sont souvent que des arguments d’autorité, comme tous les experts qui causent dans le poste, sur toutes sortes de sujets. Et ça ressemble assez furieusement au label « scientifiquement prouvé » que l’on retrouve dans les pubs.

Comme je vous le disais hier, le dénommé Stanislas Dehaene a donc été nommé président du conseil scientifique : un conseil constitué pour moitié de membres issus des sciences cognitives, sont proches de l’association Agir pour l’école et de l’Institut Montaigne, alors que des pans entiers de la recherche en sciences de l’éducation en sont absents, la preuve :

Un tiers des vingt et un membres sont issus des sciences cognitives. Plus deux philosophes, deux sociologues, deux chercheurs en sciences de l’éducation, une linguiste, un mathématicien, un statisticien. Et deux économistes.

(Source Facebook du ministre)

Ce qui, si je compte bien, fait 18. Mais passons.

La liste est là :

Qui sont les membres du conseil scientifique

Un truc m’a fait rire : normalement, 1/3 de 21, ça devrait faire 7 membres issus des sciences cognitives, j’en ai compté 11 … Si le ministre ne sait plus compter, ça promet….

Bref, pour M. Dehaene, « enseigner est une science ». C’est comme ça.

«Les recherches de mon laboratoire, fondées sur l’imagerie cérébrale, le confirment: tous les enfants apprennent à lire avec le même réseau d’aires cérébrales, qui met en liaison l’analyse visuelle de la chaîne de lettres avec le code phonologique. […] Ces études ont conduit à identifier plusieurs principes fondamentaux qui maximisent la compréhension et la mémoire. Ces principes doivent être mis en œuvre au plus vite dans les classes françaises.»

Sauf que cette théorie n’a pas plus de valeur que les expériences d’autres chercheurs, ni avec celles, personnelles, de Pierre ou de Paul avec leurs propres enfants.

Et un article passionnant (et très documenté) là-dessus à lire ICI.

Dans le site de vulgarisation que le Monsieur a créé l’an dernier, à destination des béotiens que nous sommes, il passe également largement sous silence les limites de l’imagerie cérébrale, les tâtonnements inhérents à une science encore en construction et nie les débats existant entre les chercheurs. Par exemple, pour la chercheuse en sciences cognitives Elena Pasquinelli le fait qu’« une zone cérébrale s’active n’est pas une explication causale », mais le corrélat biologique de ce qui se passe lorsque l’individu pense.

C’est aussi (évidemment) la guerre entre ce qu’on appelle « les sciences dures » (seules considérées comme véhiculant la vérité révélée) et les sciences humaines et sociales, jugées « pas scientifiques », et sur lesquelles on jette constamment le discrédit, même si elles ont un objectif autrement plus ambitieux : appréhender la complexité des interactions humaines, ce qu’on ne peut pas faire en étudiant un individu isolé, dans un caisson d’IRM.

– Et comme le faisait très justement remarquer un commentaire dans mon précédent billet, cette question est légitime : l’éducation est-elle « une science » ou une pratique, empirique, qui peut varier d’une époque à l’autre, d’un enseignant à l’autre, et surtout, d’un enfant à l’autre ? Et d’ailleurs, a t-on vraiment besoin de preuves scientifiques pour oser expérimenter ? Certains l’ont fait, depuis longtemps, bien avant les neurosciences : Makarenko, Freinet, Montessori, ou les enfants de Barbiana.

Les vraies raisons de cet engouement, ne seraient-ils pas des enjeux, politiques et sociaux, visant à contrôler l’éducation de nos enfants (et donc la notre) paraît-il au nom du bien commun, mais à mon avis, surtout dans le but d’asseoir et de perpétuer le pouvoir des dominants ?

Pour moi, baser l’éducation sur la seule biologie comme si c’était une Bible intangible, c’est évacuer très opportunément l’acquis, c’est à dire l’influence du milieu, social et/ou culturel.

J’ai des exemples personnels (certes issus de mon vécu, empiriques, et pas « scientifiques », mais en tous cas basés sur des faits concrets) :

Je suis ce que je suis aujourd’hui, et la plupart de mes copines d’enfance sont différentes de moi, parce que nous avons eu des parcours différents : mes parents lisaient beaucoup (peu de télé, et pas d’ordinateurs à cette époque), les leurs lisaient tout juste le journal et encore. Elles ne sont pas moins intelligentes, sont toujours mes copines, mais elles sont devenues différentes.

Mon fils lui, au départ, n’était pas différent des autres enfants, mais il a baigné dans une « ambiance » particulière : beaucoup de livres, de films, et assez tôt, un ordinateur. Je n’ai toujours regardé que des films en VO. Et aujourd’hui, il est parfaitement bilingue. Assez tôt, il a eu un ordinateur. Curieux, il bidouillait dedans. Aujourd’hui, il est programmeur. Et doué.

Il est différent de ses copains qui sont plus portés sur le sport, et beaucoup moins sur les langues ou l’informatique.

Moi qui n’ai jamais fait d’anglais (ni à l’école ni ailleurs), qui ne regardais des films qu’à la télé avec papa-maman, j’ai besoin de sous-titres pour comprendre les films amerlocains. En revanche, petite, j’accompagnais ma mère qui travaillait dans une librairie, et je m’occupais en feuilletant des livres : j’ai su lire une semaine après mon entrée en CP…

Bref, cette nouvelle réforme de l’éducation, cette mode des neurosciences (car c’en est une, la preuve, les médias aux ordres s’en gargarisent) va avec le reste :

* suppression progressive des programmes de sciences humaines au lycée (histoire, philosophie, arts … ), les seules filières valorisantes étant les filières scientifiques.

* « autonomie » des universités (c’est à dire concurrence entre les bien cotées et les autres, comprendre celles qui ont du pognon et celles qui n’en ont pas)

* sélection dès la seconde, à un age où la plupart des ados se cherchent encore. Ils n’auront pas le choix et ne pourront pas changer d’avis, ou faire ce qui leur plaît, en clair s’épanouir : acceptés ou recalés, ou vive la culture du concours, chère à nos « représentants », tous énarques, avocats, médecins, etc. Pas beaucoup d’universitaires parmi eux, c’est clair.

* Augmentation continue des frais d’inscription. Voilà pour l’instruction « gratuite ».

* Et sélection « au mérite » (comme pour les fonctionnaires). Le problème, c’est qui va déterminer ce mérite là ? et sur quels critères  ? J’avoue que j’ai quelques idées là-dessus.

Bref, prédestiné, un enfant sera né pour être un travailleur manuel, un autre pour être ingénieur ou scientifique. Gageons que les enfants de pauvres seront encore plus rares qu’aujourd’hui dans la deuxième catégorie.

Parce c’est exactement ce que préparent depuis des décennies les élites qui nous gouvernent. Et à tous les niveaux. D’un coté les « décideurs », de l’autre, les exécutants, taillables et corvéables à merci, et facilement manipulables. Voilà pour la prétendue modernité de M. Macron : un joli retour en arrière.

Ils voulaient abattre l’esprit de 1968 (bon sang, ça fait cinquante ans), ils sont en train de réussir.

Et sinon, pour terminer sur une note (de musique), le prénom Stanislas (ça vous viendrait, vous, d’appeler votre enfant Stanislas ?)  me fait irrésistiblement penser à ça :

 

Written by Gavroche

29 mars 2018 à 17 h 29 min

3 Réponses

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  1. après avoir rédigé dans ma tête une bonne dizaine de commentaires, je pense que ça se réduit à une pensée, philosophique, éthique, poiltique : où que soit la vérité (et rien n’est dit tant qu’aux données, scientifiques par exemple, on ne donne pas une interprétation, et tout est là, dans l’appareil interprétatif qu’on se donne), TOUT DEPEND DU MONDE DANS LEQUEL ON A ENVIE DE VIVRE. pas « besoin » en tant qu’agglomérat de cellules excitées électriquement, mais « envie » dans l’esprit et le coeur. EN-VIE.
    on fait la liste des choses qui constitueraient ce monde dans lequel on aurait envie de vivre, ou dans lequel on accepte de vivre (allez, une majuscule, Vivre), et on voit si ce qu’on nous propose y conduit, ou non.
    c’est une posture, un a priori, hors de toute raison raisonnante et trébuchante.
    et à partir de cette liste, on fait en sorte que cela advienne.
    moi, je sais que le monde qu’impliquent les neuro-sciences, toutes auréolées de scientificité qu’elles soient (donc qu’on suppose dire le VRAI), j’en veux pas, je le gerbe à tous les contours, il m’horrifie, et me terrifie.
    alors la maternelle à 3 ans, pilotée par un neuro-scientologue (et je dis bien scientologue) dans un gouvernement où il y a des tout et des riens, dans un monde de 1% contre 99%, je trouve à la fois logique et paniquant.
    parents, planquez vos enfants avant qu’on vous les formatte comme on formatte un disque dur…

    zozefine

    29 mars 2018 at 18 h 24 min

  2. planquez vos enfants avant qu’on vous les formatte comme on formatte un disque dur…

    ben, il semble que ce soit ça le projet, pas aujourd’hui seulement, sous flamby, c’était lancé, les fameux zexperts, ça s’écrit thinktanks (barbe de 4 jours de rigueur, futal slim, grolles italiennes bouts pointus -cors aux pieds garantis en un mois !)
    pour ça, on détournera tout le pognon du service public sur lequel ils font main basse
    relire « le droit à la paresse » de Lafargue d’urgence pour les contrer

    randal

    30 mars 2018 at 0 h 37 min

  3. Miaoow

    ti suisse

    1 avril 2018 at 1 h 05 min


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