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Si je ne tue pas ce rat… chap. 24 & 25 (fin)
Chapitre 24
« Si je ne tue pas ce rat il va mourir. »
Samuel Beckett
Roger Capon errait dans sa coquille creuse. Les minutes collaient aux parois du sablier, s’accrochaient, refusaient de couler. Quand le silence devenait insupportable, il allait s’asseoir par terre dans l’entrée, devant le téléphone posé sur le carrelage nu, comme une relique dans une chapelle. Il n’y touchait pas, se contentait de le fixer, à l’affût d’un tressaillement de l’objet. Capon ne pensait plus depuis qu’il avait reçu coup sur coup trois lettres recommandées. La première lui annonçait le début de la procédure de divorce. La deuxième son licenciement. La troisième venait de Maître Maillant qui lui proposait un contrat de mise en vente de la maison. Forcé d’accepter puisqu’il fallait rembourser monsieur Redon.
Depuis, c’était le néant, les jours passaient, il s’était terré dans sa maison, déboussolé. Pas un coup de fil, pas un ami, pas une rencontre. La seule personne qui se souciait encore de lui était le Voleur de vie qui poursuivait obstinément sa sombre correspondance. Et, dans une certaine mesure, Pierre Lahaye qui lui avait remis lui aussi une carte du Voleur. La sollicitude du gendarme ne le trompait pas. Sans le Voleur, Lahaye ne lui aurait jamais adressé la parole. De sa vie, ne lui restait plus que cette présence obsédante et hostile qui avait fait table rase de tout pour conquérir la place vacante. Cette dernière carte lui avait porté le coup de grâce : sa vie ne lui appartenait plus. Il n’était pas retourné à son travail presque à son insu. C’était seulement la suite logique, c’était la volonté du Voleur. Lire le reste de cette entrée »
Si je ne tue pas ce rat… chap. 22 & 23
Chapitre 22
Suzanne lui manquait. Il aurait beau vieillir, « s’enveuver », elle continuerait de lui manquer. D’ailleurs, le seul deuil qu’il avait fait était celui de l’enfant, de son désir de paternité. Et Suzanne lui manquait maintenant qu’il n’avait plus de désir. Pierre Lahaye déchira une fois de plus l’éternelle lettre qu’il lui écrivait tous les ans à la date anniversaire de leur séparation. Ce n’était jamais tout à fait la même, ses tourments vieillissaient aussi, devenaient caduques au fil du temps. Son attente d’enfant cessait d’être un combat pour n’être plus que vaine. Suzanne avait cinquante ans passés à ce jour. Le temps s’était chargé d’assassiner ses reliquats d’espoirs s’il en était. Elle lui manquait. Ses emballements pour un livre, sa rage folle quand elle sortait d’un cinéma déçue par un réalisateur qu’elle admirait. Le cinéma tout court lui manquait, il n’avait jamais pu se résigner à y aller seul. Même le plaisir solitaire de la lecture perdait sa saveur à ne plus être partagé. S’il s’égarait à penser qu’il avait juste besoin d’une compagne, sa mémoire se rebiffait. Non, il avait besoin d’elle, de leur histoire, de l’étoffe serrée de leurs accords et désaccords.
Il fit entrer Caroline Capon, mi-soulagé d’être arraché à sa vie intérieure, mi-agacé d’être interrompu, à la fois satisfait de la rencontrer enfin et las de cette affaire. Il savait jouer l’ours bourru quand il était mal luné et abusa de la situation et de sa prestance pour en imposer à la demoiselle. Mais la digne fille de sa mère ne se décontenança pas d’un poil et s’assit tranquillement en face de lui puisqu’il ne l’y invitait pas. Il baissa les armes en souriant. C’était donc elle, la rebelle de la famille. Le volatile numéro 1 sur la liste de ses corbeaux potentiels. Il était un peu déçu, il avait envie pour une fois d’une image d’Épinal, de quelque chose d’attendu et de prévisible dans ce bourbier, en l’occurrence une parisienne en tenue élégante. Et bien, non, la famille Capon décidément était vouée à le contrarier, elle était en survêtement, les cheveux noués plus que coiffés. Avec une casquette, elle aurait pu être une rapeuse. Lire le reste de cette entrée »
Si je ne tue pas ce rat… chap. 20 & 21
Chapitre 20
Capon cuva sur le canapé de Gilles jusqu’au matin. Vers sept heures, Il ouvrit ses paupières gonflées. Il avait pleuré en rêvant. Il descendit au bar où Gilles s’affairait à ranger et nettoyer le bar qu’il avait laissé en plan la veille. Il avait une bonne gueule de bois… le vin ne lui réussissait pas beaucoup. Gilles posa sur le comptoir une grande tasse de café noir.
Il partit au travail sans repasser par chez lui, sans même jeter un regard à sa maison lorsqu’il la longea dans la rue du Hameau. Dans les vestiaires, il dénicha un vieux bleu de travail qu’il laissait là en cas de pépin et l’enfila. Puis, la mort dans l’âme, il se rendit au garage chercher une camionnette. Depuis sa convocation au bureau, trois semaines auparavant, il avait un chantier à Valogne, avec Patrick. A ça aussi, il devait renoncer. Désormais, il serait toujours en équipe. Paul avait eu la délicatesse de ne pas le coller avec Savary, et l’indélicatesse d’éviter qu’il soit avec l’apprenti. Quand il entra dans le garage, Paul expliquait à Jérôme Castellin qui prenait ses fonctions ce matin-là comment remplir les feuilles de sortie des véhicules. Capon ne pipa mot, trop occupé à contenir sa rage jalouse. Depuis trois semaines, il s’y préparait, il avait vu Grimbert prendre sa place, distribuer les feuilles de chantier et répartir les véhicules. Il avait encaissé cette brimade comme un gamin puni à qui on a confisqué sa mobylette pour un moment : ce n’était pas tout à fait vrai, tout à fait réel. Il espérait vaguement que monsieur Redon voulait lui faire peur et marquer le coup avant de lui rendre sa place. Non. Il était remplacé, par un morveux en plus. Il était remplaçable.
La voix de Paul se frayait un chemin dans ses pensées. « Monsieur Redon veut te voir ». Capon avait envie de vomir. « Mon cher Roger » lui restait encore en travers la gorge. Sans s’en rendre compte, il fixait obstinément Jérôme, le nouveau mécano, dont le malaise augmentait à vue d’œil et qui finit par se réfugier au fond du garage en quête d’un bidon de produit lave-vitre. La voix de Paul s’entêtait :
– Roger, t’as entendu ? Monsieur Redon veut te voir ce matin avant que tu partes ! Roger !
Capon le regarda sans comprendre.
– Allez, viens ! dit Patrick en le secouant par la manche, j’te dépose d’vant l’bureau. Lire le reste de cette entrée »
Si je ne tue pas ce rat… chap. 18 & 19
Chapitre 18
Gilles manquait d’autorité. Voilà un quart d’heure qu’il annonçait la fermeture imminente du bar, et personne ne réagissait. Il envisageait de monter chercher Claudine qui, avec sa poigne habituelle, aurait flanqué tout le monde dehors sans l’ombre d’une contestation. Mais avoir recours à elle ne lui vaudrait rien, c’était l’une des raisons pour lesquelles il avait perdu tout ascendant sur sa clientèle despotique qui le chambrait copieusement dès que l’occasion se présentait. Pourtant l’horloge affichait huit heures cinq, et surtout, s’il voulait éviter du grabuge, il fallait passer à l’acte rapidement.
Savary était accoudé au bar avec le petit nouveau, le mécano que venait d’embaucher monsieur Redon. C’était un jeunot qui n’avait jamais travaillé en dehors des stages imposés par l’école. Il y a un début à tout, et pour l’heure, son baptême dans l’entreprise commençait par l’épreuve de l’apéritif sous les quolibets et les plaisanteries grasses de ses nouveaux collègues. Le gamin était rond sans être encore cuit : il tenait bien l’alcool pour le plus grand plaisir de ses bizuteurs qui échangeaient des clins d’œil attendris quand leur protégé s’appuyait au comptoir pour reprendre discrètement son équilibre. Ils étaient tout fiers de voir leur poussin tenir si bien sur ses jambes.
Si je ne tue pas ce rat… chap.17
Chapitre 17
« Je te donne mes yeux pour que tu voies
Tu me donnes tes mains pour recevoir. »
Gaëtan Roussel
Non, il n’avait pas d’enfant. Pas un grand dadais de fils, pas même l’ombre d’une fille volage. Il s’était préparé à être père pendant quatre dérisoires semaines, pas même le temps de concevoir l’ampleur de cette petite révolution si conforme. Il avait manqué être père, et ne le serait jamais, pas plus qu’il ne serait grand-père. « C’est facile », si facile de ne pas être père. Si facile ? Non, il ne s’était pas abstenu, insouciant. Il n’avait pas reculé, il avait seulement douté, lui, d’en être capable. L’angoisse de Suzanne et les questions fondamentales qu’elle lui envoyait à la figure quand il se laissait aller à lui raconter les jeux, les balades qu’ils feraient tous les trois l’avaient percuté de plein fouet, avaient brisé son élan, fait chanceler son désir jusqu’à la nausée.
– Que crois-tu donc ? Que ma mère m’a portée en songeant au petit enfer douillet qu’elle nous réservait ? Que ton père t’a fait pour avoir sous la main un gentil punching-ball ? Ou penses-tu sérieusement appartenir à une autre espèce, et savoir réellement pourquoi tu le veux cet enfant et à quelle image tu le façonneras ? Car il s’agit avant tout de cela : de vivre avec cet enfant pour qu’il s’emplisse de sensations, d’émotions, d’expériences. Es-tu sûr que ce qu’il vivra, avec toi dans le meilleur des cas, ou à côté de toi, vaille la peine de jouer les démiurges ? Donner la vie, fabriquer un enfant, être dieu pendant les quelques minutes nécessaires à sa conception est à la portée de n’importe qui ! Puis n’être plus qu’un humain parmi tant d’autres dès le sortir de la petite mort. Un humain avec ses peurs, ses contradictions, ses conceptions du bonheur, ses fragilités et ses petitesses. Un humain et ses manques, ses lâchetés, ses paresses, un humain et ses humeurs. Un humain qui doit faire face à ses responsabilités, face à son enfant. En es-tu vraiment capable ? Tu me fais peur, Pierre, avec tes rêves. On ne fait pas un enfant comme on adopte un chat.
A chaque fois, il sortait de ces joutes verbales effondré, la lutte se poursuivait encore en lui pendant de longues heures de sommeil perdu. Elle a tort, se répétait-il, ce sont toutes ces questions vénéneuses qui compliquent à souhait un désir somme toute naturel. A se poser tant de problèmes, plus personne ne ferait d’enfant. Et ce médiocre argument si tranchant se retournait d’un coup, se reformulait à l’envers : on se pose peut-être moins de questions pour faire un enfant, étape ancrée dans l’ordre des choses pour un couple, qu’on ne soupèse les conséquences de l’adoption d’un chat. Elle avait raison. Capon lui donnait raison, lui pour qui entendre son fils était si difficile. Un fils qui ne lui ressemblait pas, qui transgressait la loi de la nature. Un fils qui n’était pas à l’image de son père.
Si je ne tue pas ce rat… chap. 15 & 16
Chapitre 15
Lahaye marcha longtemps. Il longea le clôture qui interdisait l’accès à la Bourbière depuis qu’elle avait été classée « réserve naturelle protégée » jusqu’à ce qu’il déniche un passage de renard par lequel il puisse se glisser sous le grillage en le soulevant sans trop forcer. Il avait horreur des infractions. Il s’égara dans le labyrinthe des sentiers envahis de fougères. Le besoin vital de se ressourcer, d’évacuer la tension et les incohérences qui déployaient leurs ramifications malsaines dans sa tête le poussait à cette marche sans fin et sans ménagement. Il ne cherchait pas à s’orienter et se laissait guider par la familiarité trompeuse que lui inspiraient certains carrefours, indifférent à l’heure, aux kilomètres parcourus, à l’endroit où il atterrirait. Il ne rentra à la gendarmerie qu’en fin d’après-midi, heureux de sentir les muscles endoloris de ses jambes et les courbatures de son dos. Promesses d’une bonne nuit de sommeil réparateur. Il regagna directement son appartement de fonction pour prendre une douche chaude qui achève de nettoyer ses neurones et s’accorda le réconfort d’un thé bouillant avant de rejoindre ses collègues. L’idée le traversa qu’il abusait des prérogatives de son statut de supérieur et de son ancienneté : il avait littéralement déserté aujourd’hui. Il balaya sa mauvaise conscience : trente-cinq ans bientôt d’assiduité l’autorisaient à quelques écarts, et il était tellement las. Ces réflexions l’incitèrent toutefois à consulter son portable qui sonna, sans surprise, dès qu’il eut validé son code. Une dizaine de messages l’attendaient. Un par heure en moyenne puisque ni Ledoyen ni Dubosq n’auraient eu l’audace de l’appeler plus d’une fois par heure : Les messages de la matinée étaient l’exact reflet de la morosité quotidienne de leur mission et n’avaient pas grande valeur. Il les effaça. Les six autres messages restants avaient été enregistrés entre deux heures et demi et trois heures vingt.
« Capitaine, rappelez le poste dès que vous le pourrez ! ». Dubosq avait dû toussoter trois ou quatre fois avant pour sortir la phrase d’un trait.
« Capitaine, c’est urgent. Rappelez dès que possible ! » Une note d’impatience curieuse chez l’adjudant Dubosq qui avait adopté à l’égard de l’usurpateur une attitude excessivement déférente éveilla l’attention de Lahaye. Mais le message n’en disait pas plus.
« Capitaine, madame Capon est là, venez le plus vite possible ! »
« Capitaine, elle porte plainte contre son mari. »
Si je ne tue pas ce rat… chap. 13 & 14
Chapitre 13
Roger Capon se réveilla fourbu, brisé, incapable de croire, d’espérer, de vouloir. L’entrevue avec monsieur Redon lui trottait dans la tête depuis des jours sans qu’il puisse s’en débarrasser. Ses rêves lui faisaient revivre inlassablement la scène sous différentes variantes. Dans le cauchemar qu’il redoutait le plus, il voyait s’élargir sous sa chaise une flaque poisseuse qui lui faisait honte. Pour détourner l’attention de monsieur Redon, il fanfaronnait stupidement. Son patron s’énervait, réclamait plus de sérieux. Mais, il paniquait, ses chaussures qui baignaient au milieu de la flaque s’imbibaient de la substance répugnante. Les jambes de ses pantalons devenaient humides à leur tour, tout son corps absorbait le liquide, l’épongeait pour ainsi dire. Il se réveillait en sursaut, suffoquant, empli de dégoût au contact de ses draps trempés de sueur. Il sentait sa raison chavirer. Tout l’irritait, l’épuisait. Il était à bout.
Ce matin-là, encore bouleversé de son rêve, il regarda sa femme avec insistance, comme on joue sa dernière pièce au casino, ratissé jusqu’à la croûte, fébrile du sursaut d’énergie que procure la satisfaction de l’ultime défi, de l’insoumission bravache qu’il y a à jouer quitte ou double. Il guettait avec une attention sournoise un frémissement de cil qui enfoncerait le clou, confirmerait les élucubrations de son esprit malade. Mais Marie, forte d’un long travail sur elle-même, gardait en toute circonstance une parfaite maîtrise de la moindre parcelle de son corps, particulièrement quand elle faisait semblant de dormir. Que son regard ait si peu de poids finit d’anéantir Capon, de lui insuffler l’idée confuse de son effacement progressif de la sphère des autres. Sa belle assurance s’était réduite à une peau de chagrin ténue. Seule restait l’obstination aveugle de son instinct de survie qui s’efforçait d’étouffer toute activité cérébrale. Son corps se résolut à descendre à la cuisine manger un peu. À quelques marches du carrelage froid du rez-de-chaussée, il s’arrêta, s’assit et appela le sommeil ou le coma ou n’importe quoi qui le tire de là. Dans l’entrée, à quelques centimètres de la porte, il distinguait une petite tâche blanche, de la taille d’une carte de visite.
Si je ne tue pas ce rat… chap. 11 & 12
Chapitre 11
Depuis trois bons quarts d’heure, Capon tournait en rond dans le garage de l’entreprise. Il ne parvenait pas à s’atteler à son travail qui n’avait rien de pénible ce soir-là, l’entretien routinier des voitures, l’enregistrement des kilométrages de la journée, quelques vidanges, quelques niveaux à vérifier et le changement d’une paire de pneus. Savary n’arrivait pas. Viendrait-il seulement ? Au téléphone, il s’était fait distant, évasif, répondant par monosyllabes et grognements disséminés régulièrement histoire de confirmer dédaigneusement qu’il était encore en ligne. Capon lui-même était resté laconique, avec au ventre l’impression désagréable qu’il s’adressait à un étranger hostile à qui il demandait une faveur. Entre irritation et inquiétude, il saupoudrait de menus gestes les outils bien à leur place. Être tenu à la gorge par ce petit connard sans envergure le mettait hors de lui. Mais il était bel et bien tenu à la gorge, contraint de s’écraser. Les affres des cogitations douloureuses lui creusaient le cerveau tous les jours, toutes les nuits depuis des semaines. Lui, l’imperturbable, était pris dans un filet d’états d’âme dont il avait ignoré jusqu’alors l’existence même.
Sept heures sonnaient à l’église, l’enfoiré était bien capable de lui poser un lapin. Le rouleau de billets qu’il avait enfourné dans la poche de son pantalon le gênait comme un appendice malin, une tumeur qui lui serait venue au réveil et dont il avait hâte de se débarrasser. Oui, il attendait Savary comme on attend et redoute une opération chirurgicale décisive. Incapable de se mettre au turbin tant il était préoccupé, il patienta en nettoyant au chiffon, un par un, la multitude de tournevis, clefs et pinces qui s’alignaient sur le mur. Les cartes de visite lui revenaient devant les yeux avec l’entêtement mécanique d’un disque rayé, davantage gravées sur sa rétine que dans sa mémoire. Elles apparaissaient en surimpression sur tout ce qu’il regardait. Il fermait les paupières pour leur échapper, et la voix insidieuse les lui lisait avec la netteté détachée d’un juge.
Si je ne tue pas ce rat… Chap. 9 & 10
Chapitre 9
Quand le capitaine Lahaye demanda à parler à madame Valin, accoudé au guichet du secrétariat de l’entreprise Redon, on lui répondit qu’elle n’était pas venue travailler cette après-midi-là. Puisqu’elle n’avait pas prévenu, c’est qu’elle était sûrement malade et qu’il la trouverait sans doute chez elle. Lahaye nota l’insistance ironique qui chargeait de sous-entendus le « sûrement ».
– Il faut dire qu’avec les préparatifs du réveillon, on est un peu surmené. Repassez en 1996, après les congés de Noël.
Le persiflage bon enfant de madame Crépin n’avait pas besoin d’interlocuteur précis et elle continua de maugréer gentiment quand Lahaye eut fermé la porte. Il marchait à pas lent sans prêter attention au trajet. C’est seulement quand il eut passé le pont qu’il décida de n’interroger cette femme que plus tard. Il devinait qu’elle devait avoir une bonne raison de rester chez elle ainsi, et qu’il était préférable de ne pas la déranger. Le peu qu’il savait d’elle l’incitait à penser qu’elle n’était pas du genre à manquer son travail pour préparer les fêtes de fin d’année. De plus, en son for intérieur, il admit qu’il appréhendait cette rencontre.
Si je ne tue pas ce rat… Chap. 7 & 8
Chapitre 7
Le soir de son retour de Bretagne, Capon fit un saut chez Gilles, directement, sans repasser par chez lui. On le salua, Gilles le servit, mais personne ne lui parla réellement. On se contentait de répondre à ses questions de manière laconique quand il s’adressait directement à quelqu’un, économisant les mots et les regards comme s’ils s’usaient à son contact. Le revirement n’avait rien d’étrange. En faisant des confidences à Radar, toute la clique avait conscience de s’être fourrée dans une sale histoire. Et si Paul avait craqué, c’était bel et bien de la faute de Capon. Il s’était fait tabasser, d’accord, mais en appelant Radar, il leur avait collé un flic sur le dos. Savary, en particulier, l’avait mauvaise quand il avait compris qu’il valait mieux passer à table parce qu’il était le suspect numéro un. Et ça, c’était pas Lahaye qui l’avait deviné tout seul.
Capon fit mine de ne rien remarquer. D’ailleurs, il avait plein de choses à dire sur le chantier breton qui lui avait posé de nombreux problèmes, du fait principalement de sa main quasi invalide. Il meubla son monologue en racontant en détail toutes les ruses de Sioux qu’il avait imaginées pour compenser son handicap. Il n’obtint aucune des exclamations admiratives dont le gratifiaient d’ordinaire ses camarades quand il expliquait ses trouvailles de Geo Trouvetout. Il ne s’attarda pas au bistrot où il se sentait manifestement de trop. Il prétexta qu’il était fatigué par la route et que sa femme l’attendait pour dîner.