LES VREGENS

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Propaganda

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Je ne sais pas si vous l’avez vu passer dans l’actualité, mais le mot « race » vient d’être supprimé de la législation

Est-ce à dire que le racisme, lui, disparaîtra de notre pays comme par enchantement ? Les expulsions de rroms vont-elles cesser ? Valls va t-il cesser de les trouver « indésirables » ? J’ai comme un doute, voyez.

Si le mot lutte des classes disparaît du langage, ça ne veut pas dire que d’un seul coup d’un seul, la misère d’un côté et l’insolente richesse de l’autre s’évanouiront. La baguette magique, ça n’existe pas.

Du coup, tiens, j’ai refeuilleté le livre d’Eric Hazan, LQR, la propagande au quotidien. D’utilité publique, comme on dit.

lqr

Évidemment, les mots ne sont pas neutres, et on devrait, nous, les intellos (réels ou supposés) être un peu plus vigilants. Car l’analyse, le décryptage de ces mots sont bel et bien des actes politiques.

En pleine période nazie (Goebbels était bien préposé à la « propagande ») Bertolt Brecht écrivait en 1938 : « dans les époques exigeant la tromperie et favorisant l’erreur, le penseur s’efforce de rectifier ce qu’il lit et ce qu’il entend. Phrase après phrase, il substitue la vérité à la contre-vérité. »

orwell

Le nouveau langage (la novlangue ultra-libérale) est bien fourni en éléments de propagande pure et simple. Acrimed en parle assez plaisamment dans cet article.

Alors, c’est vrai, je trouve certains de ces mots particulièrement agaçants (et le mot est faible), comme par exemple charges sociales au lieu de ces bonnes vieilles cotisations (ou de la disparition de la notion de solidarité, et du détricotage des acquis du Conseil national de la Résistance, cher à Denis Kessler — l’article, de novembre 2007, n’est plus disponible sur le site du journal Challenges, mais vous trouverez la citation exacte ici et à Sarkozy), ou comme coût du travail (qui permet opportunément d’oblitérer celui du capital, beaucoup plus élevé). Je vous en ai quelquefois causé sur ce blog.

LE COÛT DU TRAVAIL EN EUROPE

Mais ce que je trouve grave, dangereux, limite sournois, c’est que ce langage (médiatique, essentiellement, et ensuite passé dans le sens commun) prétendument neutre et purement informatif, n’est qu’une manière (une de plus) de nous mettre dans le vent. Une véritable désinformation. Comme quoi, comme disait l’autre, « la sociologie est un sport de combat. »

Ou quelques repères pour résister à l’idéologie dominante…

Quelques exemples :

Américain 

Désigne généralement un habitant des États-Unis, et non du continent américain. Imaginez deux secondes, qu’on dise « allemand » pour « européen » ? Ça vous ferait plaisir, vous ?

Capital humain

Ou l’homo économicus dans toute sa splendeur, réduit à sa valeur … marchande. Comme ressources humaines a peu à peu remplacé la direction du personnel. Comme il y a un marché du travail ou de l’emploi. Les individus (parce qu’il n’y a plus de collectif) n’ont plus de qualifications, ou de statut, mais seulement des compétences, au sujet desquelles ils font des bilans. Ils doivent savoir se vendre.

Man Wearing Dollar Sign Glasses

Et pour arriver à ce beau résultat, on commence tôt. De plus en plus tôt.

Les universités sont devenues autonomes, c’est à dire indépendantes de l’État, et donc privées… mais même l’école n’est plus un lieu d’émancipation par la culture et de formation des citoyens, mais juste un service marchand qui doit fabriquer des salariés dociles, capables d’aller se vendre aux patrons.

bébé mac do

Comme leurs parents, les enfants ne sont plus que des individus. Et de plus en plus, chez les bons bourgeois, la mode est à la « déscolarisation » et au « chacun pour soi » comme le raconte cet article de Télérama.

Ainsi, ces enfants sortent de leur classe, au sens propre, et au sens figuré.

Parce qu’il va de soi que la majorité des gosses des banlieues, les gosses de pauvres en général, n’ont pas accès à ces « écoles alternatives ». Pour les valeurs communes, vous repasserez.

D’ailleurs, les études ne représentent plus qu’un coût (apprendre n’est plus un plaisir, mais une utilité) et c’est ce coût qui va déterminer la future rémunération… Plus question de « choisir » une branche qui plaît, plus question d’être artiste, ou astronaute, ou pompier, ou médecin, ou mécano. Il faut juste aller dans une « filière porteuse d’avenir ». Traduire : pas la peine de faire des études pour se retrouver au chomedu…

Et de toute façon, on ne dit plus pauvre, on dit exclu ou les Français les plus modestes… Comme qui dirait que ça n’arrive qu’aux autres… Ou précaire, du genre, rassurez-vous, bonnes gens, ça va s’arranger en changeant de pantin à l’Élysée… (le changement, c’est main’nant … rire) ou quand vous serez morts, vous serez à la droite du bon dieu… Deux phrases à peu près aussi crédibles l’une que l’autre.

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Problème (au lieu de question)

la raison est simple, si une question peut appeler plusieurs réponses, souvent contradictoires (et même révolutionnaires, on peut rêver) un problème, lui, n’a qu’une seule solution. Toujours présentée comme « objective », et révélée par les « experts », évidemment. C’est la naissance de notre bonne vieille copine Tina, ou y’a-pas-d’autre-solution…

Charges sociales

Les cotisations, qu’est ce que c’est ? C’est un écot, une obole, la manifestation de la solidarité de tous, qui permet à chacun d’entre nous d’avoir accès à la sécurité sociale (donc aux soins, à rapprocher des chiffres récents qui indiquent que la grande majorité des pauvres ne se soigne plus, faute d’argent), à la retraite, et à toute cette sorte de choses désormais totalement ringardes dans notre monde de ouineurs vs losers.

Rappelez-vous ce que racontait Mâme Parisot : « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? »

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Parce que pour le MEDEF, toujours à l’affut, les cotisations sociales sont devenues des charges. Trop lourdes à porter, en tous cas pour les patrons, les salariés, eux, continuant gentiment d’être chargés… Pour les patrons, ces charges sont un problème. Pour les dirigeants « socialistes » aussi, apparemment. Chacun pour soi, encore, toujours, et bientôt la fin de la solidarité, et la guerre de tous contre tous, les pauvres contre les autres pauvres. Et chacun se paiera ses soins, et sa retraite. Voilà leur solution. Et la clé est d’une simplicité enfantine : les riches ne veulent pas partager.

partage

Parce que ça vient, le modèle étasunien va bientôt devenir une référence. Pas de fric ? Tu mourras à la porte de l’hôpital. Pas de pognon pour t’offrir une retraite ? Tu bosseras jusqu’à la mort…

Chef de l’État

Au lieu de Président de la République. Parce que qui c’est le chef, hein ? Ça, et la phrase « le peuple a besoin d’un chef ». Ça me tue, parce que ce titre n’a jamais figuré dans nos textes de loi. Sauf à deux reprises : quand Louis Napoléon Bonaparte a pris le pouvoir par un coup d’état (1851) et sous Pétain… Relire les Rougon-Macquart pour se faire une petite idée.

Chef de l'EtatBref, y’a le chef et ses potes, et pis les autres. Joliment dénommés La France d’en bas

D’ailleurs, désormais, la rombière femme du chef, s’appelle la première dame… Vous n’imaginez tout de même pas, Mâme Dupont (Fontenelle, je l’aime) que vous pourriez éventuellement prétendre à cette appellation…. ??? Du coup, on pourrait dire Marie-Antoinette Tweetweiler.

Gagnant-gagnant

Celle-là, je l’adore … Évidemment, la formule vient des Étazunis, où on dit « win-win ». Me fait irrésistiblement penser à chouine-gomme gagnant. Oui, je sais, ça fait gamin.

La formule voudrait faire croire que « tout le monde y gagne », que c’est du 50-50 … Mes g’noux, tiens. Qui y croit ? C’est plutôt, à toi la cerise, et à moi tout le (gros) gâteau… Histoire de « faire croire que… », les syndicats sont un peu comme les électeurs, on voudrait leur faire croire que le changement, c’est maintenant… (rire)

Du coup, ça m’amène à vous causer des partenaires sociaux, parce qu’on ne dit plus bêtement syndicats :

Ou l’idée selon laquelle le patronat et les organisations syndicales auraient les mêmes intérêts, les mêmes objectifs… et le même poids dans la balance. Rappelez-vous, tonton Cahuzac qui racontait que la lutte des classes, ça n’existait pas…

Parce qu’en France, le taux de syndicalisation est le plus faible d’Europe. Nos syndicats ne font jamais que tenter d’endiguer le flot de réformes (un autre mot sujet à caution) portées par les gouvernements de droite comme « de gauche », au seul profit des patrons. Ils ne sont pas des partenaires, ni des collaborateurs, le nouveau mot qui a remplacé salarié … ou esclave. Quoique, pour la CFDT, question collabos, on peut se poser la question.

Populisme

Celui-là, je l’aime particulièrement. Il est très à la mode. Je vous en avais déjà parlé ici.

J’ai découvert il y a peu que l’usage de ce mot quelque peu galvaudé, vu qu’il a envahi les plateaux de télé, vient tout droit des États-Unis (ben ouais, les bonnes choses, hein…) et a été importé en France par le grand humaniste Pierre-André Taguieff dans les années 1980, à l’époque où le Front national a fait une entrée fracassante sur le devant de la scène politique. Merci tonton François (1er). Bien qu’aucune étude précise n’ait été menée à ce sujet, c’est quand même depuis cette date qu’on raconte partout que le populo est passé directement du vote rouge au vote FN.

Populisme

Le populisme donc. Ce serait la lutte des petits contre les gros, la lutte des mécontents, des menacés, un « appel au peuple contre les élites ». Le populiste, c’est celui qui « prétend parler directement au nom du peuple et pour le peuple, en dénonçant les élites en place, et ce en vue de réaliser une démocratie véritable. » (Populisme, article de PA Taguieff, dans l’Encyclopédia Universalis)

En clair, est « populiste » l’agité du bocal qui tient un discours de lutte des classes défendant les intérêts du peuple contre celui de l’oligarchie, tout en réclamant l’approfondissement radical de la démocratie (genre une 6ème République, un peu moins « monarchique », du coup, j’me d’mande si Petits Bras Montebourg était pas un peu populiste lui aussi, depuis, il est rentré dans le rang) et de ce fait, devient irrémédiablement un abominable facho comme Le Pen.

C’est paradoxal, mais vrai, parce que, même « à gauche », enfin disons à la DC, pour « droite complexée » (© Frédéric Lordon), le machin qui a remplacé PS pour parti « socialiste » (rire), les alliés ne sont plus les Mélenchon et autres Poutou (vu qu’en plus, ils sont issus du monde ouvrier, pour Poutou en tous cas, n’ont pas de dis plome, ne font pas partie des experts, etssétera), considérés comme de vils « populistes », mais plutôt ailleurs, au mieux chez l’ahuri du Béarn, et pourquoi pas, à droite, et même franchement à droite : après tout, en Grèce, le Pasok gouverne avec Aube dorée… Mieux vaut Hitler que le Front popu, c’est toujours d’actualité.

le-changement-cest-maintenant-humour

C’est bien pratique, parce que ça permet aussi d’éliminer les pue-la-sueur du champ politique. Exit le populo, cette créature immature facilement envoûtée par des leaders charismatiques flattant ses bas instincts ; mieux vaut s’en remettre aux seules élites qui, elles, savent et comprennent, et aux experts – se souvenir des articles de 2005 au moment du référendum … D’ailleurs, les puissants ne s’en cachent même plus, trop de démocratie nuisant à l’accumulation des profits. Je vous causais il y a peu des déclarations « décomplexées » d’un certain Olivier Pastré, au petit matin, sur France cul. Histoire de se réveiller en ayant (déjà) envie de mettre de grands coups de latte dans la gueule du premier patron venu…

Productivisme

Le capitalisme, on le sait, ne vise pas à répondre aux besoins des hommes (et des femmes, et des enfants), il vise à faire de l’argent, des pépètes, du flouze, des bénéfs. Alors, il n’hésite pas à nous refourguer des trucs et des machins dont on n’a strictement pas besoin. La preuve, la pub est faite pour ça : nous faire baver devant la crème anti-rides « révolutionnaire » de chez mamie Zinzin (passque j’le vaux bien, merdalors), le dernier aïe-fone, ou la dernière bagnole de chez Tartemolle, sachant que normalement la crème anti-rides est à peu près aussi efficace qu’un emplâtre sur une jambe de bois, un téléphone c’est fait pour téléphoner, a priori, et une bagnole, c’est juste un traîne-con qui nous emmène d’un point à un autre. Sauf que. Ils sont malins. Ils ont aussi inventé l’« obsolescence programmée ». C’est vrai que de mon temps Mâme Dupont, le frigo durait toute une vie. Plus maintenant. Parce que hein, faut bien vendre. En ces temps de crise « conjoncturelle » (rire) le problème, c’est qu’il n’y a plus grand monde pour acheter quoi que ce soit…

De toute façon, l’important n’étant pas ce qu’on vend, mais comment on le vend.

Comme le dit Éric Hazan, la novlangue libérale est devenue un instrument du maintien de l’ordre… en douceur. Comme je veux pas terminer ce billet sur une note désespérée, un ch’tite vidéo pour vous remonter le moral (enfin, j’espère) :