LES VREGENS

Rappel d’une utopie qui n’en finira sans doute jamais

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« L’inégalité au pied de la lettre » c’était le titre, volontairement provocateur, d’un article sur la lecture paru dans le journal Libération du 7 octobre 1983. L’auteur, un chercheur en pédagogie travaillant à l’INRP, en était Jean Foucambert. Le contenu de cet article lui valut les réprimandes de sa hiérarchie, via le ministère de l’éducation de l’époque (sous gouvernance socialiste), et même, l’équivalent d’un blâme, je crois bien.

Si je vous propose de lire, ou relire ce texte aujourd’hui, ce n’est pas sous l’effet d’un coup de déprime nostalgique, j’espère simplement vous aider à mieux mesurer l’immobilisme, l’impuissance, l’échec persistant (choisissez la mention qui vous convient) dans lequel patauge notre système éducatif et, avec lui, l’ensemble de notre corps social, depuis maintenant 50 ans,  par rapport à cet enjeu éminemment politique que représente l’objectif d’un égal accès pour tous à cet outil majeur d’émancipation personnelle, intellectuelle et culturelle qu’est la maîtrise de l’écrit, sous ses diverses formes.

Jean Foucambert, aujourd’hui âgé de 71 ans, est à mes yeux, le dernier grand pédagogue utopiste contemporain, digne héritier d’un Célestin Freinet.

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« L’inégalité au pied de la lettre »

Quelqu’un songe-t-il encore à démocratiser les voyages en ins­tallant dans les quartiers déshérités des distributeurs de billets de diligence ? C’est pourtant ce que la France risque de connaî­tre dans sa lutte contre l’analphabétisme. Comme les autres pays industrialisés ; mais avec quelques années de retard. Les États-Unis, par exemple, y ont consacré des sommes considé­rables : le nombre des analphabètes (*) dépasse maintenant 20% ! Pourquoi ? Parce qu’il y a lecture et lecture…

Le vrai lecteur est bilingue

Celui qui déchiffre – le plus souvent en les prononçant – les mots d’une affiche, d’un mode d’emploi, d’une carte postale ou d’un programme télé ne regarde pas l’écrit de la même manière que celui qui plonge dans un roman, savoure un poème ou découvre, en quelques minutes, les nouvelles transmises dans les 300 000 mots de son quotidien. Le deuxième ne dispose pas d’une technique améliorée. Il fait autre chose.

Le premier utilise la caractéristique alphabétique de la lan­gue pour comprendre l’écrit grâce à l’oral qui lui corres­pond. Le deuxième traite l’écrit directement comme un langage pour l’oeil, comme un message conçu pour le re­gard. Non pour l’oreille… C’est la même différence qu’on observe entre celui qui « se débrouille » en anglais grâce à ses souvenirs scolaires et un bilingue. L’un part toujours du français et y revient ; il consume de l’énergie à traduire, au détriment de la communication ; l’autre pense et rêve directement dans la langue seconde. Sans passerelle…

Le premier aura recours à l’anglais dans des situations ex­ceptionnelles, proches de l’urgente nécessité, sinon de la survie ; le second préfère les films en version originale. Il faut moins de 500 heures pour que le premier « se dé­brouille », il faudra plus de 10 000 heures au bilingue. 500 heures de cours au premier, 10 000 heures de vie au se­cond. Ce n’est pas le même investissement ! Ni le même résultat ! D’autant moins que le deuxième ne coûte, en apparence, rien à la collectivité ! C’est une prime à la vie de famille. De certaines familles, avec nurse, parents bilin­gues ou voyageurs, cousins a l’étranger. 70% des Français ne sont pas lecteurs. Il en va de même pour la lecture.

À la fin du siècle dernier, lorsque la bourgeoisie a eu be­soin, pour réussir son projet industriel et politique, que producteurs et citoyens utilisent un peu l’écrit, elle a fi­nancé une vaste opération d’alphabétisation en imposant l’école primaire. L’investissement de quelques centaines d’heures pour faire d’un enfant un traducteur occasionnel d’écrit en oral s’est révélé une opération rentable, à tous points de vue. Y consacrer plus de 10 000 heures eut été une erreur économique avant même d’être une faute po­litique. Et ce d’autant plus que les vrais lecteurs dont le corps social a besoin se recrutent depuis toujours dans certains milieux sans qu’il en coûte rien et de telle ma­nière que les classes dominantes se reproduisent dans la meilleure conscience, gage des entreprises éternelles.

Car si l’école ne peut qu’alphabétiser, elle sélectionne, malgré tout, sur la manière d’être lecteur ; et aujourd’hui plus que jamais. Elle trie sur des comportements qu’elle n’enseigne pas. En effet, les 10 000 heures nécessaires pour devenir lecteur ne sont pas des leçons qui édifient un savoir futur mais des temps de vie au sein d’un milieu éducatif qui attribue déjà à l’intéressé un statut de lecteur, qui s’adresse à lui comme s’il était impossible qu’il ne soit pas utilisateur de l’écrit qui l’entoure et qui se mêle à tou­tes ses actions comme à celles de ses proches.

Pour les enfants qui ne connaissent pas de telles condi­tions sociales et culturelles, l’école doit transmettre une autre technique d’utilisation de l’écrit. Celle qu’on emploie quand on n’est pas lecteur. Aujourd’hui, moins de 30% des Français savent lire ; les autres ont été alphabétisés. C’est évidemment parmi ces derniers que se recrutent les analphabètes. Mais pourquoi en nombre croissant ?

Avec l’écrit, c’est tout ou rien

Essentiellement parce que d’autres moyens de commu­nication entrent avantageusement en concurrence avec l’écrit, dès lors qu’on ne sait l’utiliser que de manière al­phabétique. Prendre connaissance de l’actualité en déchif­frant le journal donne peu de satisfactions comparé aux informations télévisées… Mais quel lecteur, même télés­pectateur assidu, songerait à se passer de son quotidien ?

Consacrer plusieurs semaines à un livre en déchiffrant trois pages chaque soir – qu’il faut reprendre le lendemain parce qu’on les a oubliées – ne supporte guère la comparaison avec le cinéma qui raconte une histoire en moins de deux heures. Mais quel lecteur, même cinéphile averti, songerait à se priver de romans ? Le téléphone contre la lettre, le dis­que contre le poème… Et dans le « strictement utilitaire », le rapport est encore mains favorable : les pictogrammes se généralisent, la sonorisation remplace l’affichage, l’impres­sion automatique des chèques par les caisses enregistreuses dispensent, comme les TVP, des opérations ennuyeuses pour tout le monde ; dans quelques mois, des cartes ma­gnétiques personnalisées fourniront à des imprimantes l’in­formation que réclament de manière répétitive, les formu­laires administratifs… Voilà bien longtemps que les milliers de travailleurs transplantés en Europe ont dû faire la preuve que le recours à l’écrit n’est plus une nécessité ! Pendant cent ans, de 1850 à 1950, l’écrit, dans la vie quoti­dienne, était difficilement contournable même s’il était ex­ceptionnel ; aussi, le savoir alphabétique, acquis à l’école, continuait-il d’être entretenu par ces rencontres de survie. Cette époque est révolue. Utiliser l’écrit sur le mode ru­dimentaire du déchiffrement – même aisé – ne constitue plus un investissement ; pas davantage pour l’individu que pour le corps social. La communication de survie passe mieux par d’autres médias et la vraie plongée dans l’écrit suppose des stratégies différentes.

Dorénavant, avec l’écrit, ou c’est tout, ou il est préférable que ce ne soit rien. En ce sens, les analphabètes actuels sont des précurseurs, non des « bavures », et ceux qui veulent les « désanalphabétiser » des nostalgiques. Les analphabètes font le bon choix en renonçant à une communication mé­diocre et en se tournant vers des médias plus rentables. Et toutes les culpabilisations n’y feront rien ! Quel intérêt a-t-on, par exemple, à laisser croire que c’est leur impossibilité individuelle d’utiliser l’écrit qui entretient les conditions so­ciales du chômage? Se soucie-t-on d’analphabétisme dans les périodes de plein-emploi ? On est bien trop occupé à faire venir la main-d’oeuvre étrangère !

Il est clair qu’une action centrée sur l’analphabétisme est un combat retardateur car l’usage de l’écrit qu’il vise n’a d’intérêt pour personne. Les quelques utilisations provi­soires de l’écrit que les analphabètes acquièrent à grand-peine dans les cours du soir peuvent nous émouvoir en ce qu’elles manifestent de détresse et de fierté, d’espoir et de volonté. Nous émouvoir autant mais pas davantage que les chemins de croix gravis à genoux. Il serait, du reste, illusoire d’attribuer à l’ensemble des analphabètes la moti­vation qui soutient les quelques centaines de stagiaires des divers centres. Même assortie de moyens, une généralisa­tion est impensable.

Quoi qu’il en soit, leurs efforts apparaissent comme des hommages rendus à notre formidable privilège. Homma­ges qui peuvent nous rassurer d’autant mieux qu’ils ne le menacent pas. Bien au contraire, ces « neo-ex-analphabè­tes » n’auront, de toute façon jamais accès, par l’écrit, à l’in­formation qui accompagne le pouvoir. Leur savoir précaire, par l’effort consenti pour l’acquérir, garantit seulement à nos yeux qu’ils seront des administrés plus administrables et des consommateurs plus dociles. Au moins, ceux-là ne seront pas allés trop loin dans les chemins de la margina­lité. Les autres nous font peur. Ce cortège croissant d’exclus sonne la fin de l’ère alphabétique.

Mais sûrement pas la fin de l’écrit ! Jamais l’écrit, libéré par les autres médias de la tâche de conserver l’oral, n’a été aussi présent, abondant, nécessaire, décisif. Dans tous les domaines, culturels, documentaires, informatifs, poli­tiques, didactiques, il est le moyen privilégié de l’échange, du partage, de la réflexion, de la disponibilité, de la rapi­dité, de la faculté d’étude et de choix. II n’est pas de do­maine où l’usage véritable de la démocratie ne passe pas par l’accès du plus grand nombre à la chose écrite. Il n’y a pas de partage possible du pouvoir sans partage de l’accès à l’écrit. Tous les militants le savent, tous les militants le vivent. Or, cet accès, c’est l’accès du bilingue, c’est l’écrit, langage pour l’oeil, et non pour l’oreille, c’est la lecture op­posée aux comportements alphabétiques. L’inégalité dans l’utilisation de l’écrit constitue le goulot d’étranglement de toute vie démocratique. Or, ce langage pour l’oeil n’est le fait que de 30% des Français. Les autres, et peu importe qu’ils soient ou non analphabètes, en sont exclus.

L’enjeu de cette fin de siècle n’est sûrement pas la reélpha­bétisation de 10 à 15% des Français mais bien la lecturi­sation des trois quarts de la population. Et c’est un autre enjeu, un autre projet, d’avenir, celui-là. Les analphabètes ne représentent qu’un cas particulier de non lecture. Et les solutions qui les concernent, pour nécessaires qu’elles soient, n’ont de sens que dans un dispositif d’ensemble qu’il faut définir préalablement.

Acquérir un statut nouveau

Le moment est… historique et le problème passionnant. Jusqu’ici on ne connaît que des conditions familiales pour devenir lecteur. Elles sont tellement liées au statut des clas­ses privilégiées qu’il n’est pas possible – et encore moins souhaitable – de les généraliser. Il s’agit alors de trouver les conditions sociales et communautaires qui produiront des effets voisins. Comment une société doit-elle se trans­former pour que tous ses membres soient destinataires et utilisateurs des écrits les plus variés ? Concernés de ma­nière inconditionnelle, de telle sorte que la relation à l’écrit précède toujours le savoir lire. Car la lecture est le produit d’un statut social. Chacun a la fréquentation de l’écrit qui correspond à un statut, et les techniques nécessaires à cet­te fréquentation. Aussi n’est-ce, pour personne, affaire de technique, toujours affaire de statut. De statut de lecteur.

Si le pourcentage d’alphabétisés constituait, il y a encore cinquante ans, un bon indicateur du développement indus­triel, le pourcentage de lecteurs est aujourd’hui, dans les sociétés industrialisées, révélateur du degré réel de démo­cratie. Aussi est-il à craindre que certaines mesures contre l’analphabétisme ne peuvent être conçues en dehors d’une action volontariste pour forcer l’entrée dans l’ère de la lec­turisation. Et c’est un choix politique global sans commune mesure avec l’épongeage de bavures toujours renouvelées.

L’enjeu démocratique

Tout se tient, et rien ne peut attendre. Les transforma­tions concernent l’ensemble des rapports sociaux, aussi bien dans le système productif que dans la vie des col­lectivités, dans les moyens d’information, dans le partage politique, dans le système éducatif, et dans la famille. Même si l’école tient une place essentielle, c’est donc la communauté tout entière qui est concernée. Certaines pistes sont ouvertes ; quelques-unes même décrites dans un ouvrage de l’AFL : Lire, c’est vraiment simple… quand c’est l’affaire de tous. Lorsque la conscience des problèmes s’im­pose, les solutions sont presque à portée de main. Ou de poing…

Aussi est-il à craindre que certaines mesures charitables proposées pour réduire l’analphabétisme n’aient d’autre effet que de prolonger la logique d’un siècle d’alphabéti­sation, retardant jusqu’à la compromettre celle de la lec­turisation.

L’acharnement thérapeutique, ça existe ! Mais à qui pro­fite-t-il ?

Jean FOUCAMBERT (in Libération du 7 octobre 1983)

 

(*) l’auteur emploie encore à cette période le terme d’analphabète ; il conviendrait mieux de parler d’illettré, terme plus adéquat pour désigner le public concerné ici ; mais le vocable bien qu’existant n’est pas encore d’un usage très répandu, il le deviendra à la suite d’une mission diligentée par le ministre où les auteurs feront le distinguo entre l’analphabète qui n’a jamais été enseigné parce que non scolarisé et l’illettré qui ne sait toujours pas lire après une scolarité normale.

Written by Juléjim

6 novembre 2010 à 21 h 37 min

15 Réponses

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  1. Merci, Jules. C’est tellement vrai !

    Les vrais lecteurs sont et resteront en effet les maîtres du monde. Et auront seuls la possibilité d’exercer leur libre arbitre.

    Toute la question est donc : ces politiques éducatives de nos gouvernements (de droite, comme de gauche) sont-elles un hasard, ou une volonté de laisser le peuple dans l’ignorance pour mieux le manipuler ?

    Michea en avait parlé dans « La double pensée », j’ai (relu) récemment Anton Makarenko, le « Poème pédagogique » (racheté à prix d’or sur le ouèbe, car épuisé) : évidemment ça a quelque peu vieilli (ça date de 1925) mais ça reste d’une fraîcheur et d’un humanisme à toute épreuve. De l’époque où quelques naïfs croyaient encore en un monde plus juste pour tous… Et où, déjà, les éducateurs se battaient contre « l’administration… »

    Gavroche

    6 novembre 2010 at 22 h 33 min

  2. waouh foucambert !!! chouette de lire ça, merveilleux comme il met les pieds dans le plat et remue allègrement.

    j’ai vécu en italie, j’y ai fait mes 10’000 heures, je suis « bilingue » même si je manque de confiance, et j’ai des « trous » syntaxiques et lexicaux. mais je préfère les VO, et je ne fais jamais de gymnastique français-italien-français. c’est à dire que, malgré mes erreurs, j’accède directement à cette langue. je n’aurais aucun problème à lire en diagonale un texte, même en ne comprenant pas tous les mots, et à en faire un résumé, par exemple. j’ai la compétence de flo, sauf que je parle italien moins bien qu’elle anglais.

    par contre, le grec, malgré le double de temps, et pour des raisons que j’ai la flemme d’expliquer, je n’ai pas fait ces 10’000 heures (et en plus le grec est une langue très très difficile). on m’a demandé de suivre l’actu grecque et de la transmettre. à quoi j’ai répondu : mais je parle mal le grec, et on m’a répondu : ben, fais des résumés, des compte-rendu. or, justement, je suis incapable de lire un texte en diagonale pour en faire une synthèse. je dois comprendre tous les mots et mot à mot ce qui est écrit, l’accès rendu difficile ne serait-ce que par l’alphabet grec, et sans d’ailleurs être jamais certaine du sens, l’écrire en français (avec dicos de langue, lexique grec-grec, grammaires et manuel des verbes) pour que, depuis cette version traduite en français, je sois capable de faire un résumé.

    moi, je ne crois pas au complotisme, au désir en amont de créer des ghettos, de maintenir une population illettrée pour mieux la dominer. il y a suffisamment de très très lettrés très cons et très salauds et pas démocrates du tout pour que l’accès à la lettrisation ne soit pas une garantie de clarté de la pensée et de justice des actions. mais il n’empêche, la lettrisation de 100% des gens, c’est l’accès pour tout le monde à des champs auxquels n’ont accès jusqu’à présent que des « priviligiés », même s’ils sont majoritaires (pas exagérer surtout le nombre d’illettrés, c’est un mauvais service à rendre à la cause)

    il me semble que le minimum qu’on pourrait faire, c’est reconnaître que jusqu’à présent on n’a aucune idée des processus sous-jacents qui font passer de l’alphabétisation à la lettrisation. à part passer de 300 à 10’000 heures, je veux dire. à part beaucoup de la même chose, et tout d’un coup ça fait TILT dans la Boîte Noire. car justement, on ne sait pas comment se fait ce TILT, et donc on ne sait pas le reproduire volontairement, le faire vivre aux apprenants.

    et là, pas de miracle : de la recherche concertée entre tous les champs convoqués dans ce domaine (psychologie, pédagogie, didactique, sociologie et bien sûr et surtout linguistique; et même neurologie (et sa version pathologie) – qui a beaucoup à dire même si ça embête aux entournures), de l’observation analytique de ce qui se fait dans la vraie vie (cf les recherches de goigoux du temps de sa splendeur) et de l’expérimentation à large échelle et sur le long terme, comme en ont fait les didacticiens des maths avec brousseau.

    mais partir du constat que depuis la situation des années 60, tout a changé, on ne peut plus compter sur le darwinisme social et le hasard, et qu’on ne sait rien. je suis persuadée que le concept FLM (français langue maternelle) est un redoutable piège à cons, oreiller de paresse, et que l’élaboration des programmes à partir de ce concept princeps est une erreur monumentale.

    zozefine

    7 novembre 2010 at 9 h 18 min

  3. A fréquenter mes élèves, avec lesquels je dois travailler souvent à partir de docs iconographiques de toutes sortes, je me dis qu’il faudrait inventer un mot équivalent à « illétrisme » pour les images. Tout le monde ne peut pas s’appeler Korkos, mais à ce point d’incapacité à décoder les associations d’idées, implications, etc, d’une image (notamment publicitaire) je trouve que ça devient presque un handicap, en tout cas une mise en situation de vraie faiblesse.

    florence

    7 novembre 2010 at 11 h 47 min

    • Mais le terme d’illettré ne s’applique pas qu’à l’écrit ; l’illettré est le plus souvent aussi en difficulté avec les chiffres et les techniques opératoires. Ce que tu dis à propos de la difficulté de certains élèves à « lire » des images ne m’étonne pas, lire étant fondamentalement un processus de production de sens, que le matériau soit de l’écrit, des nombres ou des images ne change à mon avis rien à l’affaire !

      julesansjim

      7 novembre 2010 at 12 h 10 min

      • j’ai peur de ne pas être du tout d’accord. en tout cas par rapport aux chiffres, aux images et aux techniques opératoires. donc qu’entends-tu par techniques opératoires et chiffres et images, et je verrai bien si mon soupçon d’ethnocentrisme blanc occidental est justifié (car j’ai plein plein d’exemples en tête de gens peu ou pas lettrés, et même de cultures entières avec carrément pas d’écriture du tout, qui sont des einstein pour les chiffres, les images, et les techniques opératoires – mais dans des cultures qui admettent leurs compétences comme valides – tandis que nos cultures non, cf bentilola pour qui quelqu’un qui sait pas lire est un untermensch)

        quant au décodage des images, si on les décodait avec des images ? d’ailleurs korkos soi-même fait énormément d’associations visuelles. mais non, il s’agit de décoder avec des mots, pour des gens qui ont pas les mots pour le dire, qui ne savent pas transposer un univers dans l’autre, parce que cet autre univers leur est interdit ? difficile ? tabou ? réservé aux autres ? inconnu ? que sais-je, ils y ont pas accès, en tout cas, et surtout pas comme médiateur.

        ça me fait penser à ces exercices de torture médiatique, quand on demande à un artiste, surtout lorsqu’il est un peu autiste, et qui ne s’exprime pas par métier avec des mots, de commenter avec des mots son travail (de dessinateur, de comédien, de peintre, etc.). s’ils s’expriment autrement, c’est pas un hasard, non ?

        en plus, l’exercice, pourtant linguistiquement pertinent, est pas forcément motivant : je me rappelle avoir haï ces exos de descriptions et commentaires en anglais, en espagnol, et de continuer à les haïr en grec. donc si j’ai pas le couteau dans les reins pour me motiver, je les fais pas.

        zozefine

        7 novembre 2010 at 12 h 47 min

  4. Gavroche pose la question : « Toute la question est donc : ces politiques éducatives de nos gouvernements (de droite, comme de gauche) sont-elles un hasard, ou une volonté de laisser le peuple dans l’ignorance pour mieux le manipuler ? »

    Et Zozé y répond en disant : « moi, je ne crois pas au complotisme, au désir en amont de créer des ghettos, de maintenir une population illettrée pour mieux la dominer. il y a suffisamment de très très lettrés très cons et très salauds et pas démocrates du tout pour que l’accès à la lettrisation ne soit pas une garantie de clarté de la pensée et de justice des actions. mais il n’empêche, la lettrisation de 100% des gens, c’est l’accès pour tout le monde à des champs auxquels n’ont accès jusqu’à présent que des “privilégiés”, même s’ils sont majoritaires (pas exagérer surtout le nombre d’illettrés, c’est un mauvais service à rendre à la cause) »

    Pour ma part j’ai envie de répondre ceci : on ne sera jamais sûr qu’il y a complot parce qu’on n’arrivera sans doute jamais à en établir la preuve ; alors complot ou pas autant mobiliser son énergie à en désamorcer les effets réels qu’à en dénoncer l’existence éventuelle.
    Je pense aussi que le concept de double pensée repris par Michéa peut s’appliquer au domaine de la formation et de l’éducation. Il y a comme un aveuglement de la part des élites intellectuelles à propos de l’école qui consiste à penser que si le modèle traditionnel leur a réussi à eux comme à leur ancêtres, et comme à leur progéniture c’est bien la preuve que le système est bon, qu’il ne convient pas de le changer fondamentalement. Tout juste le réformer en l’adaptant pour certains publics à la marge. Cela va pour l’enseignement de la langue (parler, lire, écrire) comme pour la quasi totalité des autres domaines.
    C’est un peu comme si les choses se passaient ainsi : lorsque les élites se demandent si la société dite démocratique peut fonctionner avec 30% de citoyens-lecteurs efficients et 70% de citoyens-lecteurs déficients, ils répondent « oui » ; les plus cyniques d’entre eux ajouteront sans doute que faire mieux coûterait tellement cher que le jeu n’en vaut pas la chandelle, tant que ça fonctionne…

    A propos de l’éducation, lorsque Marx s’adressait aux classes ouvrières, ne disait-il pas en substance : »Ne copiez surtout pas l’école des bourgeois ! inventez une école DU peuple, pas une école POUR le peuple ! »
    C’est ce que des pédagogues comme Makarenko ou Freinet et d’autres se sont acharnés à faire, contre vents et marées !

    julesansjim

    7 novembre 2010 at 12 h 03 min

  5. Passionnant ce petit exposé. Merci à Jules de nous l’avoir proposé…
    Comme quoi, la déclaration des Droits de l’homme, elle commence sur une utopie « tout homme naît égal en droits etc… » !
    Je crois que le consumérisme nous mène à un illetrisme avéré. Tout ce qui est du ressort de la pub pousse à garder les visionneurs idiots et à faire en sorte que leurs cm3 de cerveau restent bien disponibles.
    Je n’adhèrerais pas à tout ce qu’il écrit : j’ai une petite réticence quant à son discours sur le cinoche… ça ne fait pas appel aux yeux et à l’ouïe de la même façon mais ça peut provoquer de la réflexion. L’oralité aussi.
    Moi, ce que j’aime dans la lecture aussi bien que dans le cinéma, c’est que ces deux exercices vous rendent « autiste ». En lisant ou en regardant un film, vous êtes dans un autre monde que votre quotidien, mais c’est nous-même qui décidons de nous y attarder, d’y réfléchir, de s’y replonger à volonté.
    Malgré tout, je reconnais que j’ai plus « retenu », mieux digéré ce que j’ai lu. Mais je suis d’une culture de l’écrit…

    clomani

    7 novembre 2010 at 12 h 22 min

    • @Jules : je ne parle pas de « complot » mais de volonté (délibérée ?) de laisser le populo dans l’ignorance. Juste 300 heures, c’est pas cher payé, pour qu’il puisse être un bon petit soldat de la consommation par exemple…

      @Clo : « je suis d’une culture de l’écrit »… C’est exactement ce que dit Jules. Nous sommes de moins en moins nombreux. Dans 20 ans, ceux là seront les maîtres du monde, et les autres, les oubliés de l’histoire.

      Aujourd’hui, hélas, les gamins lisent peu, et regardent beaucoup la télé/ou n’importe quel autre écran. Culture de l’image. On va beaucoup moins loin dans la réflexion, à mon sens, en regardant un film qu’en lisant un bouquin de Lordon (ouarf!). Pour moi, c’est plus une affaire d’émotion. Je vais encore me faire engueuler par randal, qui lui, est un homme d’images…;-))

      Gavroche

      7 novembre 2010 at 17 h 45 min

      • Oui, ça ressemble plus à ça, une volonté de maintenir les masses populaires dans un état de dépendance, à la fois économique mais donc aussi culturelle et intellectuelle afin que l’équilibre des pouvoirs qui fondent le système où les dominants se reproduisent entre eux reste stable.(cf Bourdieu)
        Si la notion de « mérite individuel » est si importante pour les réformistes libéraux de droite comme de gauche c’est qu’elle permet d’alimenter et de justifier les soi-disants bienfaits démocratiques de la promotion individuelle ; il suffit de parler à ces mêmes libéraux de promotion collective (coopération, solidarité, entraide, échanges de savoirs…) pour les voir blêmir et s’inquiéter du potentiel révolutionnaire d’un tel projet.
        C’est ce dont rêvait un pédagogue comme Foucambert et l’institution EN l’a bien compris qui lui a fait chèrement payer, en le marginalisant, pour affaiblir et parasiter son influence auprès des enseignants et des usagers de l’école.

        ******************
        Par ailleurs, Foucambert n’oppose pas les usagers de l’écrit que sont les lecteurs, des autres supports de communication et d’expression. Il soutient au contraire que la proportion de gros lecteurs est importante chez les mélomanes, les cinéphiles, les amateurs d’art, de peinture, de photo, d’opéra etc…
        Lorsque l’outil lecture est performant, il est inégalable en terme d’efficacité, de flexibilité, d’autonomie et de complémentarité avec de multiples activités.
        A contrario, lorsque l’outil lecture est peu ou pas efficient, les usages deviennent plus rares, souvent dictés par l’obligation et nécessairement simplifiés, ce qu’il appelle des usages de survie.
        Le parfait illettré est un champion du contournement de l’écrit pour arriver à ses fins.

        julesansjim

        7 novembre 2010 at 21 h 20 min

  6. @Zozé : « j’ai peur de ne pas être du tout d’accord. en tout cas par rapport aux chiffres, aux images et aux techniques opératoires… »

    Ola calmos amie cigale ! D’abord il convient de ne pas prendre le terme d’illettré comme un gros mot ou une insulte. Laissons ce mépris-là à Bentolila qui considérait les non-lecteurs comme des autistes, du moins à une époque. Peut-être a-t-il changé d’avis depuis ?
    A partir de la distinction officielle (UNESCO) faite depuis la fin des années 80 je crois, entre « analphabétisme » et « illettrisme », distinction plutôt utile, il est possible, dans un deuxième temps d’utiliser le terme d’illettré ou d’illettrisme d’une façon restrictive ( difficultés à comprendre un texte simple) ou plus générale (difficultés à lire, écrire et compter). A partir de là chacun d’entre nous peut attribuer sans honte ni culpabilité certaines faiblesses à une forme d’illettrisme. Un illettrisme partiel, pourrions-nous dire. Je pense être plutôt illettré devant un texte traitant de physique quantique ou de philosophie taoïste par exemple ; tout simplement du fait de mes difficultés à comprendre ce genre de textes. Je n’ai aucun problème à dire ça.
    Ultime précision : illettré n’est pas le contraire de lettré, ni synonyme d’inculte ! Ne pas aimer lire et préférer la peinture,la photo, le cinéma ou la musique, ce n’est pas non plus être illettré !
    De même, ne compliquons pas tout en mélangeant plusieurs niveaux. Il ne s’agit pas non plus de dire que les cultures écrites seraient supérieures aux cultures strictement orales qui seraient du coup qualifiées de cultures illettrées ! Parce qu’alors là on bascule vite dans le grand n’importe quoi.

    julesansjim

    7 novembre 2010 at 16 h 49 min

    • tu n’as pas compris ce que je disais, mais je me suis probablement et une fois de plus mal exprimée. en tout cas, je ne me reconnais pas dans ton commentaire au mien. mais peu importe, vive foucambert !

      zozefine

      7 novembre 2010 at 22 h 32 min

  7. bah…culture de l’écrit, culture de l’image… me semble bien que Freinet utilisait des Pathé-baby pour diffuser les docs tournés par et avec ses élèves…
    Du moins c’est ce qu’on m’a dit lors des quelques émissions que j’ai faites à Bar-sur-loup, dans sa salle de classe. Un chouette village, entre parenthèse, où il reste bien présent, ainsi que Francis Ponge, l’autre « grand homme » du lieu.
    Ce qui porte du sens peut bien être écrit, ce qui a surtout contribué à garder et transmettre la mémoire, donc de « bâtir » une culture humaine dans toute société.
    Quand l’écrit devient poésie et non plus document, ça touche à l’art et provoque l’émotion… hein, la mort de Gavroche avec le talent de Hugo : la progression dans les chapitres qui précèdent, la tension produite car on pressent ce qui va arriver, ce « suspense », eh bien, on a les images en soi… l’esprit, sur les suggestions du père Hugo, a créé le décor et les personnages et les fait vivre au rythme des mots. C’est fort, mais c’est Hugo!
    Alors, le cinéma…
    Quand c’est « du » cinéma, c’est un art total, qui occupe et sollicite plus de sens que la simple lecture… l’oeil, et l’oreille aussi, pour la voix, et pour la musique en plus…on reçoit d’un coup tout cela. Et comme au théatre l’émotion est partagée en commun avec ceux qui sont dans la salle.
    Freinet avait tout de suite compris l’importance de cette nouvelle technique, possiblement créative… et interactive. Et son idée, comme son boulot, ça a été de savoir « doser » l’ enseignement pour susciter l’intérêt et la curiosité de chaque écolier.
    Et ça s’appelle pas…la pédagogie ?
    ah, savoir raconter des histoires…

    randal

    8 novembre 2010 at 2 h 35 min

    • Oui Randal, je suis complètement d’accord. Pour Freinet, il y a une valeur centrale à ses yeux, c’est la notion de « travail ». Pour lui, l’école est un lieu où se travaille (au sens de « façonner », « élaborer ») la lente formation/émergence d’un individu/citoyen. Dans ce processus la maîtrise de l’écrit (et aussi de l’oral) est conçue comme l’appropriation d’un outil conceptuel, intellectuel, un outil pour penser, s’exprimer, communiquer. Pas un outil supérieur aux autres donc, mais un outil fondamental, en interaction avec toutes les autres formes de langages. Vygotski, le psychologue russe, mort prématurément vers la fin des années 30, avec qui Freinet a échangé, parlait de la langue écrite comme d’une « algèbre de la pensée ».
      Aujourd’hui, le terme « pédagogie » est quasiment devenu un gros mot ou du moins un mot suspect, merci aux anti-pédagos brighellistes d’un côté et aux intégristes du jargonnage pédagogiste de l’autre !

      Cela dit, personne ne critique ce qui reste de vivant dans le courant Freinet. Mais peu d’enseignants s’y intéressent de près, non plus…

      **********************
      Edit : je découvre une mini-critique de deux livres qui traitent de la lecture : http://www.telerama.fr/livres/pourquoi-lire,61963.php

      julesansjim

      8 novembre 2010 at 9 h 34 min

  8. Oula ! ça phosphore fort à droite sur l’école et sa nécessaire transformation.
    Luc Cédelle, journaliste Education au journal Le Monde et animateur d’un blog rend compte sur le ouèbe d’une réunion de travail de l’ump, organisée par Copé et son Club Génération France. Aussi intéressant qu’inquiétant…

    Intro : « Le public est d’environ 300 personnes. La salle est un auditorium de l’Assemblée nationale, en sous-sol. Nous y voici en début de soirée, peu après 19 heures, le mardi 26 octobre. Pour une réunion de « Génération France.fr » (le «.fr » fait partie du nom), le club de réflexion de Jean-François Copé, maire de Meaux (Seine-et-Marne), député et président du groupe parlementaire UMP à l’Assemblée.

    Et ce club – comme d’ailleurs toute l’UMP, qui s’apprête alors à tenir le mercredi 3 novembre à La Villette sa convention intitulée « Tout commence par l’éducation » – réfléchit sur l’éducation. Mais le club de Jean-François Copé, candidat au secrétariat général de l’UMP, a de l’avance, ce qui peut difficilement passer pour un hasard. C’est sa deuxième réunion sur ce thème. Elle s’intitule : « Education Acte II : tout se joue à l’école primaire ».

    … pour ceux qui voudraient en savoir plus, c’est par là : http://education.blog.lemonde.fr/

    ATTENTION !!! il y a 2 looooongs billets à se farcir, pas juste les inepties de Copé ! Vous voilà prévenus.

    julesansjim

    8 novembre 2010 at 21 h 30 min

  9. un article paru aujourd’hui : la lecture modifie le fonctionnement du cerveau. les neurosciences nous boufferont la moelle, mais bon, vous pouvez en juger par vous mêmes à
    http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5hHAnN5k5vAqoOciS3rl326LN1Uaw?docId=CNG.b5df3b52e6c318f35498843ccb2a6241.401

    zozefine

    11 novembre 2010 at 21 h 51 min


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