LES VREGENS

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Paroles contre paroles.

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D’abord, il y a eu un tirage au sort. Puis un second et un troisième. A chaque fois, Jean-Christophe a reçu un courrier pour l’informer qu’il venait d’être sélectionné. Il a ensuite reçu sa convocation, ignorant tout de l’affaire qu’il aurait à juger.

Il se retrouve maintenant en délibéré, avec les 3 magistrats professionnels et les 8 autres jurés. Ils doivent juger, décider de la vérité. De la vérité avec un grand v. Jean-Christophe est cartésien, la vérité il s’en méfie.

La présidente explique que le curseur peut aller de zéro, la relaxe ; à vingt. Vingt ans de réclusions pour viol aggravé. La décision sera prise à la majorité de huit voix au moins, chacun des douze jurés a une voix.

Jean-Christophe se demande si la justice n’est finalement pas qu’une question d’arithmétique : 12 jurés, 3 magistrats et 9 citoyens, 7 femmes et 5 hommes, 12 fois 1 voix, 8 oui et je retiens 4 ans, 10 ans, 20 ans, 0 …

Et là, il doit se déclarer, « sur son honneur et en sa conscience… », et il n’a pour se décider que le souvenir des paroles entendues. Celles du procureur, de la plaignante et celles de l’accusé, avec leurs avocats.

Paroles contre paroles.

La présidente insiste, solennelle : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise, est un viol ».

A l’arithmétique, il faut donc ajouter la sémantique.

« Pénétration », « violence », « contrainte », «  menace », « surprise », a quoi ça se reconnaît ?

La président invite maintenant chaque juré à donner son avis. « elle affabule », « la pauvre, elle a l’air perdue », « quand tu vois la gueule de sa bonne femme, tu comprends qu’il soit allé voir ailleurs », « elle, elle voulait seulement de l’amitié », « c’est clair, il est coupable » , « mais, puisqu’ils étaient amants depuis 3 ans ».

Jean-Christophe lui, veut s’en tenir aux faits.

« et pourquoi qu’elle n’a pas appelé la police tout de suite ? ». « elle s’est réfugiée chez son voisin, un vieux sénégalais. C’est lui qui ne voulait pas téléphoner à la police, il disait qu’il ne voulait pas d’histoire avec la police. D’ailleurs, à la barre,  il n’a su dire qu’il ne comprenait pas pourquoi il était au tribunal alors qu’il n’avait rien fait et que la prochaine fois, il n’ouvrira pas sa porte. »

« l’accusé lui a mis un coup de poing quand même », « 3 heures avant leur relation sexuelle, ils ont pu se rabibocher entre temps ». « elle dit qu’il n’avait jamais été violent auparavant ». « pourquoi elle mentirait ? ». « il clame son innocence, il n’a jamais varié dans ses déclarations ».

Qui croire ?

Qui croire quand l’accusé dit qu’il est resté 48 heures en garde à vue sans dormir ni manger,  qu’en le descendant au dépôt, le gardien de la paix l’a violemment frappé et qu’il retire son dentier pour montrer aux jurés la dent manquante, en preuve ?

Pourtant sur la vidéo de l’interrogatoire, les policiers sont courtois avec lui, d’une extrême politesse, usant du « Monsieur, vous… »…

Oui mais ces mêmes policiers lui disent sans ménagement « tu viens, tu t’assoies, tais-toi » dans les couloirs du tribunal, qui n’a pas de caméra.

Jean-Christophe constate les lézardes qui courent sur les murs du palais de justice, le tribunal est bien peu reluisant, vieillot et décrépi. Il a été sensible à la plaidoirie de l’avocat de la défense. « il n’y a pas une victime, il n’y a pas un coupable, il y a deux personnes qui ne disent pas les mêmes choses. Et pourtant, une de ces deux personnes est là, confortablement assise auprès des jurés et l’autre personne est ici, assise, faute de place et de moyen, sur une chaise de camping, sous le regard réprobateurs de deux policiers ».

Jean-Christophe rappelle alors que dans leurs témoignages, « elle dit qu’elle a été contrainte, lui dit qu’elle était consentante. Elle dit qu’il a reçu 3 coups de téléphone ce soir là, lui dit que non. Cette vérification aurait aidé à savoir qui de elle ou de lui ment et qui dit la vérité. Mais la police n’a pas mené ces investigations. ».

La présidente lâche alors « Ils n’ont pas le temps, pas l’envi, pas les moyens. Bon, allez, assez discuté, on passe au vote ! »

Written by lenombrildupeuple

2 octobre 2011 at 19 h 07 min

Pourquoi les jolies filles n’aiment pas les gentils garçons ?

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Stéphane a senti brutalement un grand froid l’envahir et tout son corps se glacer.

Nico venait de dire qu’il avait passé la nuit chez Céline. Nico et ses DocMartens, et son Perfecto, et son badge de PIL.

Il l’avait raccompagnée en quittant la fête de fin d’année.

Pourtant, toute la soirée, Stéphane avait cherché à danser avec elle. Il s’était promis de l’embrasser pendant un slow. Ils s’entendaient bien tout les deux.

Mais, elle avait dansé avec Nico.

Au début de la soirée, il lui avait donné la cassette de Daho qu’il avait copié pour elle. Elle avait dit merci et lui avait claqué une bise, c’est là qu’il a pensé qu’il avait vraiment sa chance.

La veille déjà, en fumant le pétard du soir avec Fred et José, il se l’était promis.  Ne pas se dégonfler, la jouer cool, ouais cool, l’inviter à danser et doucement, l’embrasser… « coooool. ». « Quoi ? » avait dit José. « Hein ? ». «  Cool quoi ? ». «  Heu … Rien … Nous.  On est cool là, non ? » « Ouais cool » avait répondu José.

Ils étaient, depuis un temps qu’ils ne comptaient plus, allongés sur la pelouse du stade qui jouxtait l’internat. La bouteille d’Evian, avec un fond de Vodka pour faire chicha, gisait entre eux. José se redressait encore de temps en temps pour tirer dessus, même si ce deuxième stick était presque complètement consumé.

Fred lui, se faisait une petite fixette sur les dessins de son nouveau sweet.

C’est Nico, comme d’hab’ qui le lui avait fourni. Le plan était simple. Fred disait à sa mère qu’il avait besoin de nouvelles fringues, elle lui filait la thune. Il passait sa commande à Nico qui allait à la ZI de la Croix Blanche les piquer. Le tarif était 50 % de remise. Fred partageait avec Nico le fric de sa mère et avec le reste, il achetait le shit.

Nico, lui, pour le fric, il chourait : les fringues chez Kiabi, et aussi des autoradios, et puis fallait pas laisser traîner son walkman dans le dortoir ou des trucs comme ça, il ramassait tout et revendait. Il raquettait aussi un peu les secondes et les première-années de BEP.

José, pour le shit, il tapait dans son compte caisse d’épargne, alimenté régulièrement par sa grand-mère. C’était un bon petit, tous les week-ends, en rentrant de l’internat, il passait voir mémé.

Stéphane n’achetait pas de shit. Il savait trop le mal qu’avait son père pour ramener de l’argent à la maison. Alors déjà, il dépensait un minium. Et l’idée de se mettre la tête à l’envers avec la sueur de son père…non, pas question. Mais, bon, il achetait les chips et les bonbons qu’allaient avec, pour pas trop taxer les potes.

Et puis, dans la fumette, ce qu’il préférait, c’était d’en être. En être, des mecs respectés du lycée, pas être dans les nullosses.

Lui, sans style, sans fric et avec les oreilles décollées, au début, ç’a pas été facile à l’internat. En fait, ça a commencé à aller, le jour où le protal à réuni les trois classes pour leur faire la morale, sur le respect dû aux profs  ceci-cela. Parce que c’était le boxon dans le cours d’anglais. Et Stéphane, sans préméditer, a balancé des trucs secs sur l’autorité et le respect qui se gagne, sur la motivation à travailler et sur l’incohérence générale du discours du proviseur qui demandait aux élèves d’être tolérants avec la prof pas douée. Ce jour là, il avait obtenu son brevet d’insolence et n’était plus emmerdé par les autres. Depuis, il était élu délégué de classe et prenait son rôle à cœur. Un prof lui avait même dit qu’avec son bagou, il devrait devenir homme politique.

Son père, lui, disait qu’il devrait faire curé « T’aimes pas trop le boulot, tu parles bien, tu sais rien faire de tes mains : tu devrais faire curé » mais c’était pour le chambrer. Dans sa famille, on n’aimait ni les flics, ni les curés et le dimanche, on lisait l’Huma. Son père voulait surtout qu’il fasse des études et ne soit pas un ouvrier comme lui, une blouse bleue, un smicard.

Il avait 100 francs, pour 15 jours, pour le train et les imprévus de la semaine.

Un imprévu, il en avait eu un la semaine d’avant.

Tous ses mercredis après-midi, il les passait au rayon livres de Auchan. Il avait lu d’abord toutes les BD et maintenant, il prenait un livre de poche ou deux et hop, dans l’après-midi, ils les avalaient.

Ce mercredi là, il avait aperçu Céline qui venait faire des courses avec sa mère. Il l’avait suivie des yeux, elle s’était arrêtée au rayon disque. Alors, il y avait traîné, l’air de rien.

« Tiens, qu’est-ce tu fous là ? » elle avait dit, en lui marchant sur le pied pour rigoler. Pour se donner une contenance, il tenait un disque de Daho. « Ah ouais, c’est bien, Daho. Tu l’achètes ? Tu pourrais me faire une copie ? Ce serait sympa ».

Il avait demandé « Tu vas à la soirée Vendredi prochain ? ». Elle ira. 

Il avait eu juste assez pour acheter le disque. Il allait faire une copie, lui donner la cassette à la soirée, et se faire aimer.

 

Written by lenombrildupeuple

29 juillet 2011 at 17 h 48 min

Drinn ne répond plus.

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Elle s’appelle Juliette, mais comme on est dans la vraie vie, lui ne s’appelle pas Roméo. Il s’appelle Drinn, parce que ses parents sont kosovars.

Juliette dit que c’est son amoureux.

Mais aujourd’hui, Juliette et Drinn ne peuvent plus se voir, plus se prendre la main, ni se faire des bisous. Le monde des grands les a séparés.

C’est en Septembre dernier que Juliette a rencontré Drinn.  Dès leur première rencontre, le cœur de Juliette a bondi. Drinn est beau, Drinn a les yeux rieurs.

C’est certain, aucun autre garçon de la moyenne section de maternelle n’est mieux.

Drinn arrivait du Kosovo, avec sa mère et son père, professeur d’université à Pristina, francophile acharné, qui venait à Paris passer un doctorat de sciences politiques.

A Pâques, Drinn et ses parents sont rentrés voir la famille. Avant de partir, Drinn a offert un dessin à Juliette, le dessin d’une maison,  avec des arbres, et une voiture rouge.  » T’as vu, ça déborde pas  » a dit Juliette, si fière des talents de son amoureux.

Après les vacances, Drinn n’est pas revenu à l’école. Juliette se sent seule et son coeur est plus lourd chaque matin.

L’ambassade de France, à Pristina,  n’a pas accordé de nouveaux visas à Drinn et à sa maman. « La bourse d’étude du papa ne saurait valoir  justificatif de ressources ».

Le papa de Drinn prépare un doctorat de sciences politiques dans le pays des Lumières, le papa de Drinn a pris un cours de sciences politiques appliquées.

Juliette a 5 ans et elle est triste.

Written by lenombrildupeuple

15 Mai 2011 at 17 h 02 min

Sonia, la faiblesse du coeur

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Il y a 20 ans,  Sonia avait … 20 ans.  Et son cœur était malade. Alors, on le lui a remplacé, une belle greffe. Mais voilà, Sonia aime la vie. Alors, contre l’indication médicale, elle a eu un enfant. Son nouveau cœur a supporté, tant bien que mal.Et puis une autre petite fille est arrivée quelques années après, et son cœur était usé, il fallait le remplacer, à nouveau…

J’ai hésité , car je ne lui en ai pas parlé,  mais je rapporte ici quelques uns de ses messages. Je crois que, même sans la connaître, vous apprécierez.

 

Journal du 09 Mars 2011 :

Globalement je vais bien, je vais très bien même. J’ai une super mine et un super moral, j’ai même entendu un doc dire à un infirmier : « elle n’a pas une tête de greffée, celle-là ! ». En ce moment, je fais un petit rejet, il y a 3 niveaux, c’est le 1er. Il est traité par de fortes doses de cortisone, 3 000 mg sur 3 jours (au lieu de 40 mg/jour). Aujourd’hui, je suis toute maigre ; demain, je serais toute grosse. C’est surtout le visage qui accuse, joues et mentons, vous visualisez un bouledogue ?

Bon, vaut mieux en rire.

Je sais que le physique est un détail, mais rappelez-vous mon côté narcissique et puis je reste une nana avec toute sa coquetterie…

Enfin pour l’instant, la cortisone me donne un joli minois et retape mes joues creuses et mes cuisses de mouche (comme dirait mon Bèb). Ma dernière dose de solumedrol (cortisone) est demain. Les effets disparaîtront si je ne fais pas de rejet la semaine prochaine. Pour savoir si mon organisme rejette mon nouveau cœur, je fais des biopsies toutes les semaines (on insère dans une veine de la gorge un petit tuyau qui se termine par une pince, et on vient arracher 6 bouts de cœur pour l’analyser). Je rentre dans les détails pour ceux que ça intéresse, il y a 3 types de rejet. Le 1er et le 2ème rejet peuvent être traités en maison de réadaptation cardiaque (sorte de maison de repos), le 3ème rejet, le plus important, est immunologique (trop d’anticorps), celui-ci exige la pause d’un cathéter dans l’artère au cou et des séances de plasmaphérèses donc c’est retour à l’hôpital.

Avant la greffe, j’étais un sujet à risque car j’avais déjà énormément d’anticorps suite, à ma 1ère greffe, votre greffon restant un organe étranger qui engendre la sécrétion d’anticorps, et à mes grossesses, pour lesquelles la femme se surcharge d’anticorps pour se préserver d’une nouvelle ADN. Donc j’ai commencé les plasmas et d’autres traitements pour faire chuter mon taux d’anticorps et freiner leur sécrétion 15 jours avant la greffe. Il était très risqué de me greffer avec autant d’anticorps, le greffon aurait pu ne jamais vouloir s’installer en moi. J’ai eu une chance inouïe d’avoir un laps de temps pour faire baisser mon taux de 20 000 à 10 000. La dernière fois, un médecin m’a rapporté qu’il était à 8 000. Génial ! J’attends incessamment sous peu le nouveau taux. Je suis très surveillée à cet égard, et je mesure les miracles qui se produisent en moi. Au mieux, c’est un taux à 0 (lol), sachant, m’a-t-on dit, que c’est utopique. Moi, je me dis, et pourquoi pas ? Alors je vise 0. Je précise que ce sont que 3 types d’anticorps qui visent la destruction de mon cœur, on ne me flingue pas tout mon système immunitaire (même si je reste nécessairement en déficience immunitaire).

Pour mes reins et après j’arrête mon jargon médical :

Après la greffe, ils envisageaient une greffe de reins. J’étais en grave insuffisance rénale (créat à 300, le maxi étant à 80) au point d’être dialysée (1 seule fois). Et ‘miraculeusement’, mon nouveau cœur tout neuf à réaccorder pianissimo au diapason tout mon petit orchestre intérieur. Mon taux de creat aujourd’hui est à 118, on me dit que c’est parfait, mais moi je vise < 80 parce que je sais qu’une musique mélodieuse, lénifiante, enivrante,’ le doux bercement de mon cœur’, de nouveau,  vibre et retentit en harmonie dans toutes les cellules joyeuses de mon corps.

Sinon, et là, je passe du coq à l’âne (mon côté solognote), tant pis pour la transition : Je ne vous ai pas dit, en ce moment, je suis à l’hôpital mais vendredi 11 mars, pas demain mais après demain, à 14h, je serais aux grands prés à Villeneuve Saint Denis (pendant 21 jours maxi) et Dimanche, je vois mon béb et mes 2 précieuses filles (que je n’ai pas vu depuis 1 long mois), sacré émotion que nous allons tous avoir…

Les ‘grands prés’, apparemment (Christophe s’est à plein renseigné et Séverine a fait du forcing pour que j’y rentre), est un centre convivial loin des services dispensés par un hôpital. Il y a un service de restauration, il faut simplement prévenir la veille, et votre visiteur peut manger avec vous. Il y a un grand parc avec des fleurs, des arbres, une piscine ! L’endroit est gai, l’accueil et le personnel apparemment compétent et la cuisine excellente. Une fois par semaine, je serais emmenée en ambulance à la Pitié pour la journée, pour une biopsie. Le soir, je suis de retour aux grands prés dans l’attente des résultats. J’ai fait 2 biopsies à ce jour, la 1ère impeccable ! La 2ème, petit rejet, la 3ème est mardi 15 mars. Je n’angoisse pas, j’ai passé le tunnel, le soleil brille dans ma vie. J’ai 6 biopsies ainsi sur 6 semaines puis ils espacent, selon les résultats je présume, tous les 15 jours, mois, etc…

Mais à ce moment-là, j’aurai retrouvé les miens, je serais dans ma maison à moi, j’aurai cette joie indéfinissable qu’à chaque parent de voir grandir ses enfants, de partager avec eux leurs premiers pas, leurs premiers mots, leurs histoires de copines, d’amoureux, de rassurer leurs angoisses, de les soutenir dans leur devoirs, de jouer, rire, faire les fous ensemble, d’être là pour eux simplement chaque jour que Dieu m’offre, chaque jour que m’offre la Vie. Si vous saviez comme c’est ENORME de savoir que mes enfants auront un avenir avec leur maman, qu’ils ne se sentiront pas abandonnés avec toutes les conséquences que ça engendre pour leur vie d’adulte.

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Et puis même si mes mots ne sont que goutte d’eau face à l’Océan d’Amour qui m’inonde chaque jour, même si mes mots n’exprimeront jamais suffisamment ma démentielle reconnaissance, même si ce ne sera jamais assez, ces mots, je veux les écrire.

J’ai une famille IMMENSE à remercier et un Etre cher là-haut dans le Ciel à bénir chaque jour.

Dire oui au don d’organe ? Juste l’idée peut faire frémir. Prendre cette décision de son vivant, c’est penser à sa mort, le chemin vers l’obtention d’une carte est un parcours éprouvant, en parler à ses proches est plus terrible encore. Et puis, lorsque c’est votre famille qui doit choisir, ce doit devenir carrément insupportable. Anéantie par la perte d’un Etre exceptionnel, pressée par l’urgence de la situation, assaillie de sentiments contradictoires, une famille doit dire oui ou non au don d’organes.

Alors devant cette famille, au cœur GRAND comme l’immensité du Ciel, je me
prosterne, et dis maladroitement : « Merci et Pardon ».

MERCI de me refaire renaître parmi les miens, merci de m’offrir ce qu’il y a de plus précieux au monde, la Vie ; je vais revoir les sourires de mes filles, je vais savoir quel joli visage elles auront plus tard, L. va-t-elle avoir les cheveux qui foncent, fera-t-elle 1m80 comme sa mère ? C., alors ses yeux seront-ils marrons ou verts, sera-t-elle blonde ou châtain ? Et son caractère… Ce don est inestimable, infini et je vous fais la promesse d’en faire le meilleur usage. Ce cœur, je vais le garder. Neuf.

PARDON de vous voler quelque part un Etre de valeur… Sachez qu’il vit en moi, je le sens, je l’entends, je le touche, je le vois dans mes prières ; il vit en moi, je vis en Lui. Nous allons avoir une vie superbe, joyeuse, ensoleillée et vibrante d’amour. Je prie pour que votre peine s’apaise avec le temps, et pour que cet Etre merveilleux qui est parti au Ciel soit en paix et serein au jardin d’Eden.

 

Samedi 19 mars, synthèse 3ème biopsie (détail dans un autre écrit déjà écrit, pfft (ça sort dans tous les sens dans ma tête)) :

Juste pour vous dire que la biopsie a eu lieu en fait le mercredi 16 mars (plusieurs changements…). J’ai un petit rejet, plus petit que la dernière fois.

Pour preuve le traitement : La 2ème biopsie, ce fut 1000 mg de cortisone/jour sous perfusion pendant 3 jours (+ 3 000 mg), ce qu’ils appellent dans leur jargon, un bolus (au lieu de 40 mg /jour).Là, je double simplement ma dose de cortisone pendant 6 jours, soit je prends en cachet 100 mg par jour au lieu de 50/jour (+ 300 mg en tout dans la semaine). Je n’ai pas eu mal par rapport aux 2 dernières fois. Globalement, ça s’est bien passé. Je vous expliquerai en détail une prochaine fois, mes « longs fleuves » me submergent un peu ces temps-ci et vont finir par vous noyer aussi (rires) !

Sinon, sachez que je suis vraiment, vraiment ravie et super ravie de n’avoir que ce petit rejet. Au bloc, les propos du chirurgien interne n’étaient pas rassurants par rapport aux bouts retirés et la séance s’est éternisée. Sachez également que je suis toujours restée zen, avec vous tous dans mes pensées.

Et puis parce qu’il faut toujours que j’en rajoute…

Une confidence.

Je ne sais pas encore si j’écris pour être comprise, ou si j’écris pour me comprendre. Je sais qu’aujourd’hui, j’ai besoin de me retrouver seule… avec moi-même, seule face à moi-même. Long parcours spirituel pour reposer son corps, son esprit et son âme (…quelque peu torturés). Mon stylo court sur des cahiers de brouillon que m’a donné Agnès ; même en dormant, les mots, les phrases défilent, c’est incohérent souvent. Je parle d’hier, d’aujourd’hui, d’une anecdote de mon enfance, de la pluie qui tombe soudainement dehors, je me fige sur des questions existentialistes de tout ordre… Pffft, quel désordre dans ma tête ! J’ai toujours eu du mal à être simple. Mon château de cartes, pourtant bien construit (hé femme de Menuisier, moi !) s’écroule parce que j’ai pensé, trop pensé. C’est absurde. Bref, aujourd’hui, je travaille sur moi-même, j’essaie de faire le vide.

Sinon tous mes chiffres se portent bien (creat, potassium, tension…). Je dois prendre du muscle, des kg, de la capacité pulmonaire (…) et mon « chœur » se remettra à chanter à l’unisson. A cause du rejet, je suis plus ou moins cloitrée dans ma chambre (très jolie chambre). J’arpente 2 fois par jour les majestueux couloirs des Grands Prés pour aller boire mon Nespresso café et en même temps me muscler tout le corps entier. Je dois rester masquée pour me protéger des patients aux poumons abimés, des visiteurs peut-être enrhumés, bref de vous en résumé ! Rires. (non, c’est pas marrant) (JE décoooonne !).

Bref, mes journées :

Je me réveille vers 7h-8h00 (cool), ça dépend de l’heure à laquelle je me suis endormie. S’il est 8h00, je m’active. S’il est 7h00 (comme aujourd’hui), je paresse dans mon lit, le regard rivé à mon balcon. J’entends le gazouillis des oiseaux, je contemple la myriade de couleurs que nous offre, dans toute sa générosité, Notre Grande Dame Nature…

De ma chambre, je vois la Vie.

Des arbres constellés de minuscules billes roses commencent à bourgeonner, des sapins, de superbes sapins, verts foncés, bleutés, de toutes espèces dansent au gré des vents tourbillonnants, leurs épineuses branches pointées vers le ciel, mon regard croisent une envolée d’hirondelles, je souris, le Printemps est de retour…

J’écris toujours dans mon lit… Je me fais des listes… J’appelle les miens…

La femme de ménage arrive ; je déguste mon p’tit déj (j’adooore le petit déjeuner) en regardant mes conneries d’feuilletons à l’eau de rose à la télé. Je ne suis plus à mes pensées ; j’ai un sourire béat et bêtifiant, « Amour, gloire et beauté » vient de commencer. Bah ouais, on se refait pas !

Ah oui, mon petit déj, un vrai régal : 2 pains (fait maison), 2 margarines, 1 confiture, 1 café noir, quelques gorgées de jus d’orange (suis dosée en sucre) et un yaourt. Je me gloutonne, je mange tout en 2 feuilletons ! Rires. Aaaaahhhh (je m’étire – toujours dans mon lit – 11h08), je prends le temps de déguster… Quel plaisir de bouffer quand même, la gastro c’est mon péché mignon ! Toutes ses saveurs qui vous explosent en bouche, et font jouir vos papilles dégustatives… Les gourmands-gourmets peuvent retenir une adresse, c’est des copains d’accord (des copains en Or), mais également un excellentissime resto, le Grand St Benoît à Saint Benoît sur Loire (ouais facile la ville) qui détonne tant par sa gastro succulente & imaginative, que par le raffinement du choix de ses insolites assiettes. Le problème c’est que vous êtes toujours déçus après quand vous allez ailleurs.

Bon il est 11h33.

Je vais aller me doucher. C’est du sport pour moi ! Ensuite me reposerai devant ma glace, assise 5 minutes à fainéanter, l’esprit dans mes pensées, à écouter mon cœur se reposer. Prendrai le temps de me crémer (je pèle de partout à cause de la perte de poids), m’enduirai de de tous côtés, de la tête aux pieds, jusqu’à ce que ma peau desséchée soit rassasiée. Puis re-repos 5 mn. Ensuite, je m’habille. Christophe m’a ramené 4 valises de fringues, mon dressing quoi ; il était fou mais il a bien voulu apporté toutes mes piles ou presque (en plusieurs fois par contre, il a honte quand il passe devant la dame de l’administration. Sourire… Mon bonhomme toujours si discret, pas conscient de son humilité ; sa femme si bruyante, si exubérante ; la dualité sous forme de complémentarité, l’unité au-delà de nos disparités). Ben ouii, je veux être belle pour lui, moi ; je veux être belle pour moi aussi ; je veux être belle dedans et dehors…. Rayonnez de l’extérieur et vous rayonnerez de l’intérieur…

Promis, maintenant je synthétise.12h30 : Déjeuner.

Après-midi : activités physiques (à partir de lundi), conférences, repos, écriture, lecture, télé, promenade, visites (quand je peux)…

J’ai des RV médicaux également tous les matins, glycémie, pesée, électro, épreuve d’effort, radio, écho ou holter ; nous avons un planning, des convocations, tout est répertorié sur un tableau blanc, impossible d’oublier… L’établissement est vraiment sérieux (suis enfin rassurée).

A partir de lundi, j’attaque les activités physiques, 10h45 vélo d’appartement (30 mn) tous les jours avec montre cardiaque au poignet, 14h gym douce pendant 1 heure avec prises de tension. Je vais avoir également des séances de relaxation, des cours pour augmenter mes capacités pulmonaires et respiratoires. Lundi à 16h, il y a une conférence sur la diététique, Mardi à 11h45 sur la relaxation, 14h le diabète, 15h le stress, et tous les jours de la semaine, des thèmes différents sont abordés réadaptation cardiaque, coronaires, anti tabagisme, anticoagulants… Certaines conférences sont obligatoires, d’autres facultatives.

Enfin, cerise sur le gâteau (bon, ça fait un peu thalasso), autre activité, aquagym… Le centre abrite en effet une magnifique piscine à baies vitrées. Je ne sais pas encore si ce me sera autorisé à cause des bactéries qui pullulent toujours dans les bassins chlorés, ce que je sais c’est que, dans toutes mes fringues, n’ai pas prévu de maillot de bain ! Smiley !

Quel plaisir de se revitaliser le corps et se ressourcer l’esprit au sein de cette maison enchanteresse ! Le silence est magistral, salvateur ; la plénitude règne en Maître des lieux ; la nature vous rappelle que la beauté est partout, à nous de prendre le temps d’observer…

Alors, j’essaie d’être tranquille… Pas toujours évident, mon côté fonceuse, emportée, speedy Gonzales revient avec une force exacerbée par les corticoïdes. Mon chéri, à son détriment parfois,sait que je suis de Retour, Sonia l’infernale… Pfft… Bon bémol, je ne suis pas devenue Terminator tout de même ? Je suis humaine, j’ai un vrai cœur vivant qui bat en moi, et croyez-moi, c’est Enorme, c’est Irréaliste… Nous avons, souvent, bêtement conscience du bonheur d’être «simplement» en bonne santé quand celle-ci s’en est allée… N’oubliez pas, quelques soient les difficultés que vous pouvez traversées, « De la vie naît l’espoir… ». Le monde vous appartient, l’avenir est entre vos mains, tout vous est permis, tout est encore possible, le temps est souvent la clef. Nous devenons ce que nous faisons, à nous de façonner notre vie à notre image, et nous sommes beaux ! Tous les matins, en se brossant les dents devant son miroir, il faut se dire « Vive Moi ! », ça fait du bien de se congratuler, il faut s’aimer pour aimer. Bon, je refais ma Mireille Dumas, ferais mieux d’appliquer mes principes…

Je reviens, sans transition (comme d’hab), à mon sujet, heu les Grands Prés, je crois :

Il n’y a que des hommes ici pratiquement. Calmez-vous les nanas, la moyenne d’âge est de 60 ans. Je fais office de petit’jeunette, qu’est-ce que ça me plaît ! (Nez retroussé coquin). Je ne connais personne, parce que je suis dans ma chambre isolée à cause du rejet.

Mais rassurez-vous je peux sortir masquée, arpentée mes couloirs aux couleurs impressionnistes, contempler la nature joyeuse, chantante, dansante (je suis restée figée 10 mn sur des feuilles mortes qui tourbillonnaient entre-elles, virevoltaient en hymne à la vie, au rythme effréné de cette force invisible et pourtant si puissante, le vent), et puis dans quelques jours, mes pieds fouleront à nouveau les perles de rosée du matin sur le beau tapis verdoyant des Grands prés, signe que tout va bien, signe que je vais bientôt rentrer (pensée à Maman qui trotte toujours pieds nus dans l’herbe mouillée).

Bref, sourire, la semaine prochaine, je vais enfin pouvoir me montrer, me mélanger aux autres, être comme tout le monde ici…

Guérir et Partir.

Bibi d’âme, je suis grave en retard ! Ne retenez qu’une chose de ce fleuve en fait (c’est dingue, hein ? j’peux pas m’en empêcher) : je vais excellemment bien.

A +, je me prépare pour mon bèb, mon chéri, mon namoureux, mon super héros superintendant qui supervise tout et ma noune L. qui viennent bientôt, bientôt…

Sonia

 

Written by lenombrildupeuple

30 mars 2011 at 13 h 45 min

Kofi – Dossier Pôle emploi n°0647828H

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— Eh Bokassa, quand tu auras fini avec le nettoyage de la salle, tu iras à la cave  me chercher une bouteille de Morgon. Et tu fais attention, hein, si tu la casses, je te botte le cul quelque chose de bien … Tu m’entends minus ?

Oui, oui, bien sûr, qu’il l’entend, toute la journée il l’entend  » Bokassa fais ci, Bamboula fais ça !! « . Et pour les coups de pieds au cul, un de plus ou un de moins…

Il continue à passer la serpillère entre les tables en repensant à sa vie d’avant, quand personne ne l’appelait Bokassa, quand personne ne le battait, quand il vivait sous le soleil de Bamako ; avant.

— Tu verras mon Kofi, on sera bien en France. En France, tous les gens ont de beaux habits, tous les gens ont des belles voitures, ils ont des grandes maisons. On sera bien. Je vais trouver un monsieur blanc pour s’occuper de nous.

Maman le serrait alors fort contre son cœur. Elle le berçait avec ses promesses douces.

— Il faudra être gentil avec lui. On sera bien là-bas.

Depuis six mois, il y étaient. Maman avait donné toutes ses économies à madame Coulibaly pour passer une annonce dans le Sasseur Français. Le Sasseur Français, c’est le journal pour trouver un mari en France.  Kofi connaissait plein de femmes de son quartier qui étaient partis en en France après une annonce comme ça.

Kofi veux bien être gentil mais il ne veux plus recevoir les coups.

Tout était allé très vite. Kofi avait même trouvé très drôle qu’on le vieillisse de deux ans sur les papiers. De 14 ans, il était officiellement passé à 16 ans. La tête d’Ibrahim et de Fatou quand il leur avait montré le passeport tout neuf. Elle lui manquait Fatou, et leur balades au milieu du Grand Marché, la poussière rouge qui collait aux sandales… C’est monsieur Blondeau qui avait dit qu’il fallait changer son âge, « pour le travail » il avait dit.

Depuis Maman s’occupe de toute la vaisselle du restaurant, et d’éplucher les légumes aussi et lui Kofi, il nettoie le restaurant de monsieur Blondeau, il reçoit des claques, il sort les poubelles, et tout et tout.

Ce n’est pas vraiment ça qu’il avait imaginé.

Il pensait que le mari en France sera comme sur l’affiche du cinéma Babemba, avenue Kassé Keita,  un grand homme blanc avec un regard gentil ou alors qu’il ressemblera à Zinedine Zidane, le meilleur foortballeur du monde, et qu’il emmènera Kofi au stade, et Kofi deviendra aussi champion du monde , il jouera pour la France et pour le Mali et maman sera enfin heureuse, ce sera bien.

Kofi laisse là son balai et ses rêves pour descendre rapidement à la cave. Il n’aime pas y aller, c’est sombre, plein de poussière et d’humidité. Il tâtonne pour trouver le bouton de la lumière. L’ampoule éclaire pauvrement les toiles d’araignées. Il s’accroche à la rampe, cherche à calmer sa respiration.

En bas de l’escalier,  il s’assoit quelques instants sur la dernière marche. La bouteille de Morgon est face à lui, tout en haut, sur la dernière étagère.

Il n’arrive pas à l’attraper.

Souvent les clients trouvent qu’il est petit pour son âge. Monsieur Blondeau explique alors que c’est à cause de la nourriture dans ces pays là, mais que ici il allait prendre force, grâce à lui.

Il traîne une caisse moisie pour se hisser.  Il grimpe dessus. Il tire délicatement la bouteille du casier, Kofi sait qu’il prendra une sacrée volée si la précieuse  bouteille tombe et se brise…

Written by lenombrildupeuple

23 février 2011 at 15 h 58 min

le mal de mère

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Jacqueline claqua sa portière, posa lourdement les mains sur le volant et soupira longuement avant de démarrer le moteur de sa Peugeot.
Pour sûr, elle ne s’y attendait pas à celle-là.
Depuis 3 semaines qu’elle avait commencé à faire le ménage chez ces gens là, on peut dire que jusque là, tout s’était bien passé.
C’est la coiffeuse du village qui les avait mises en relation, elle savait Jacqueline sérieuse, et puis elle trouvait intéressant de se faire bien voir auprès de l’adjoint au nouveau maire. Faut dire que la coiffeuse, Marie-Claude, était plutôt pour l’autre liste, celle du notaire et des commerçants, pas pour celle des socialos et du docteur qui avait finalement gagné. Alors, Marie-Claude, en tant que trésorière de l’union commerçante, et au nom du bon voisinage, voulait faire un peu oublier ses prises de positions passées. « Faut être adaptable quand on est dans le commerce ! » disait souvent son mari. Bref, quand la femme de l’adjoint lui avait dit, en causant, qu’elle cherchait une femme de ménage, Marie-Claude avait tout de suite pensé à Jacqueline et avait arrangé l’affaire, et c’est comme ça que Jacqueline avait obtenu ce nouveau travail.
Ça n’avait pas été pas facile pour Jacqueline : après 15 ans passés à faire du conditionnement en usine, elle avait été licenciée quand la direction américaine avait décidé de remplacer toutes les chaînes manuelles par des chaînes automatisées, plus rentables.
Les anciens bancs de conditionnement avait été déménagés dans l’usine de Pologne qu’ils venaient de racheter et ici, deux techniciens suffisaient maintenant.
Et Jacqueline et les copines : terminé.

Avec les indemnités du licenciement, Jacqueline s’était donc payé le permis. Sûr qu’il en fallait du courage à 45 ans pour le faire, c’est ça aussi qui avait plu à Marie-Claude : « Dans la vie, quand on veut, on peut ! », qu’il disait souvent son mari. Et aussi, il avait dit « Hein Jacqueline, le monde appartient ceux qui ont une auto ! » et ça, ça l’avait bien fait rigoler.
Le reste de sa prime de licenciement était passé dans sa Peugeot.
Et elle travaille depuis comme femme de ménage.
Avec ce nouvel employeur, ça se passait bien. Le soir, quand la femme de l’adjoint rentrait à la maison, elle lui proposait même un café et elle lui demandait si tout c’était bien passé, et tout ça sur le temps de travail, payé.
Alors, aujourd’hui, Jacqueline se sentait un peu perdue.
La semaine dernière, Jacqueline lui avait dit un peu sa vie. Comment elle avait quitté tôt l’école pour aller travailler, son mariage à 22 ans, avec le premier homme qui s’était intéressé à elle, les 4 enfants.
Et puis aussi, elle avait dit les tracas de la vie.
Seule avec les enfants toute la semaine, parce que Jean-Paul était chauffeur poids lourd. La grande obligée de s’occuper de ses petits frères pendant que Jacqueline est à l’usine, le travail en équipe, les roulements, le sommeil et les fins de mois difficiles…
Alors, bon, quand le petit, Anthony, a commencé à avoir des problèmes, à avoir de mauvaises fréquentations, elle en avait eu du souci, surtout que Jean-Paul a cette époque là n’avait plus de boulot, plus de permis. « L’alcool… » avait soufflé Jacqueline, avec une petite grimace entendue.
Du souci oui avec Anthony, elle en avait. Des vols, des bagarres, et puis la drogue, les gendarmes, les mises à l’épreuve….
Là, il était revenu à la maison, mais il recommençait ses histoires.
Du souci, oui ça en faisait du souci pour Jacqueline.
Elle lui avait dit tout ça la semaine dernière, à la femme de l’adjoint, en prenant le café.

Alors ce soir, quand la femme de l’adjoint lui avait dit qu’elle en avait discuté avec son mari et qu’ils ne pouvaient pas la garder, elle ne s’y attendait Dieu pas, ça non.
Oh, bien sûr, ils n’avaient rien à lui reprocher question ménage, mais voilà, avec les problèmes de drogue de son fils, ils ne sentaient pas rassurés qu’elle ait la clef de leur maison avec elle. On ne sait jamais, s’il venait à prendre la clef et à les cambrioler…
« Alors, bon, vous comprenez  Jacqueline, on est obligé d’arrêter. Mais ne vous inquiétez pas, je vais vous faire tous les papiers pour les Assedic, et puis on reste amies bien sûr. Un autre petit café Jacqueline ?».

Written by lenombrildupeuple

15 décembre 2010 at 19 h 11 min

Insurrection

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— Alors petit, tu rêves ?

Il regarda avec surprise Marcel qui l’apostrophait et lui adressa un petit sourire contrit avant de reprendre la cadence de la batteuse et d’enfourner dans la gueule de la machine les aiguilles à ballot.

Oui, il rêvait, pourtant autour de lui la machine tapait et les hommes criaient. Mais en ce début d’après-midi d’été, il s’était pris à repenser à l’avenir qu’il s’était souhaité.

A ses 14 ans, il avait annoncé à ses parents qu’il voulait devenir boulanger, mais ses parents avaient pensé qu’avec son handicap, cette poliomyélite qui lui avait mangé toute force dans la jambe gauche, ce n’était pas une bonne idée et puis, de toute façon, ils ne connaissaient pas de boulanger qui cherchait un apprenti, alors…

Il était gentil Marcel. Pas comme ce salaud de Boulet.

Tap – tap – tap, claquait avec régularité la machine.

Il le voyait le salaud de Boulet, là-haut. Le colosse trônait au sommet de la batteuse comme si le monde lui appartenait.

Chaque fois qu’ils se croisaient, ce salaud le toisait de toute sa hauteur, et immanquablement le petit avait droit à une insulte : « fainéant », « bon à rien », « merdeux » « avorton », et souvent « boîteux ».

«Boiteux ! », « boiteux ! », « boiteux ! »…Il devait le sentir ce salaud de Boulet qu’il détestait qu’on lui dise ça, et sûrement que c’est ça qui plaisait à ce salaud.

Cette semaine là, ils battaient le blé dans une ferme du côté de Rebrainville, c’était à 20 km de chez ses parents mais la veille Marcel lui avait déconseillé de rester dormir dans la grange avec les autres gars de batterie : «  Boulet veut te faire ta fête, petit, tu devrais renter chez toi ce soir ».Il ne savait pas trop ce que l’autre comptait lui faire mais au ton de Marcel, il avait décidé de suivre son conseil et de rentrer. Pourtant, 20 km, en vélo, en pédalant sur une seule jambe, après les 10 heures de travail, ça ne l’emballait pas, mais il avait senti qu’il n’avait pas vraiment le choix.

Alors, la veille au soir, il avait repris son vélo. Il en était fier de son vélo. Rouge qu’il était. Ses parents avaient rechigné, c’est que ça en coûte des sous, mais bon, c’était pour travailler, et puis son grand frère avait soutenu l’idée. Il était écouté des parents Gaston, surtout depuis 4 ans qu’il était revenu de la guerre, auréolé de ses faits d’armes dans la résistance. Il avait d’ailleurs offert au petit un ceinturon pris sur un boche.

Mais, la veille, alors que la nuit tombait, en empoignant son vélo, il découvrit que le guidon et la selle étaient tartinés de merde. Il en avait plein les mains maintenant.

Le salaud, le salaud.

Il éructait, il pleurait.

Tant bien que mal, il essuya son vélo avec des brins de mauvaises d’herbes.

Chez lui, il n’avait rien dit à ses parents, à quoi bon. Il s’était couché directement, la main sur le ceinturon pour se réconforter. Dimanche, quand Gaston viendra, il lui en parlera se promit-il.

Aujourd’hui, il s’était appliqué à ne pas croiser l’autre salaud. Surtout, ne pas lui montrer ses yeux rouges de fatigue et de misère. Pas question d’abandonner sa fierté.

Un liquide lui coula dans le cou.

Instinctivement il rentra la tête dans les épaules tandis que le rire de Boulet éclatait. Le petit leva la tête vers lui, ce salaud se tenait debout, hilare, il avait à la main la gamelle dans laquelle il urinait pour ne pas avoir à descendre de la machine.

La gamelle était vide, ce salaud se marrait.

La pisse.

Il lui avait versé sa pisse sur la tête.

La rage remonta.

— Fumier ! hurla-t-il.

— Oh, ta gueule, boiteux. C’est pour rire.

— Tu me le paieras, tu verras, tu me le paieras.

Boulet cessa de rire.

— Quoi ? Tu t’es vu ? Tu veux qu’j’te casse l’aut’ patte ?.

Et il se remit à rire plus fort encore, prenant les autres à témoins de sa bonne blague.

Le petit s’éloigna pour ne plus entendre les rires moqueurs, trouva la fontaine et se passa de l’eau sur les cheveux, le cou et le visage, essuyant larmes et pisses mêlées.

La batteuse s’était arrêtée. Les hommes s’affairaient autour.

Le petit retourna vers la machine, l’œil noir, il clopina vivement.

Boulet était penché sur un engrenage.

Le petit attrapa la burette et de toute sa force et de toute sa rage, lui asséna un coup de burette à huile sur le crâne.

Boulet s’affala au sol, le petit se jeta sur lui et assis sur son ventre, il le cogna. Gauche, droite, gauche, droite.

Ban – ban – ban, tapait avec régularité le petit.

Dans le nez, dans les yeux, dans la bouche de Boulet, qui ne réagissait plus.

Boulet n’aurait désormais plus de dent, le petit avait les phalanges en sang, mais déjà Marcel et Raymond le ceinturaient et l’empêchaient d’accomplir son œuvre.

— Laissez-moi, j’vais l’tuer, j’vais l’tuer !! Hurlait le petit.

Mais Marcel et Raymond ne le laissaient pas.

Bientôt, sa colère retomba, laissant la place à l’excitation.

— J’l’avais dit que je l’aurais, j’l’avais dit.

Marcel le tenait toujours fermement.

— Oui, mais s’il va aux flics, tu iras en taule…

Written by lenombrildupeuple

16 novembre 2010 at 19 h 02 min