LES VREGENS

État de droit ou loi du talion ?

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Comme vous le savez sans doute, nous v’là avec un état d’urgence gravé désormais dans le marbre. Sans que nul ou presque ne s’émeuve. Macron nous avait prévenus, sous forme de pirouette, (c’était le 20 septembre, à Nioullorque) en déclarant qu’il avait décidé (qui c’est le chef, hein?) « qu’on allait sortir de l’État de droit ».

Alors, il y a quelques mois, avant de partir en claquant la porte, en effaçant toute ma prose, j’avais commis un billet sur Médiapart (en pdf ici : La peur et l’ignorance) à propos du « monstre » du 13 novembre.

Condamner et punir oui, mais est-ce suffisant ? Ne faut-il pas surtout, comprendre pourquoi et comment un être humain (car c’en est un, malgré tout) pouvait commettre de tels actes. Comprendre, justement pour éviter d’autres victimes.

Dans un état de droit, qu’est-ce que la justice ?

Quelle différence avec la vengeance, ou le talion ?

Guantanamo, est-ce l’expression d’un état de droit, ou de la loi de la jungle ?

Évidemment, je ne m’étais pas fait que des amis.

Ben oui, la France a peur, et faut dire que cette sainte trouille est soigneusement entretenue par nos amis les « journalistes » (comme au mot « socialiste », je mettrai désormais des guillemets à ce mot). Quand on a peur de son voisin, ça évite d’avoir peur du monde que nos « représentants » (décidément, encore des guillemets) nous préparent.

Un exemple récent, l’interviouve d’Eric Dupont Moretti par le dénommé Demorand, un parfait représentant de la caste des journalistes, ou le bal des faux-culs.

Soyons clairs : je n’ai pas d’avis sur l’innocence ou la culpabilité d’Abdelkader Merah (je ne connais pas le dossier).

Et je n’apprécie pas non plus particulièrement M. Dupond-Moretti, même si, étant moi-même une grande gueule, j’aime bien la sienne.

Mais ce n’est pas parce qu’il a défendu des gens qui me sont peu sympathiques (si je m’étais écoutée, j’aurais laissé Tapie croupir en taule, par exemple), ni même parce qu’il a « chopé le melon » (après tout, lui, le fils de pauvre, il a « réussi », si l’on se réfère aux critères d’aujourd’hui).

Je ne l’apprécie pas, mais seulement parce que c’est un chasseur invétéré et qu’il est fan de corrida… Comment prétendre défendre les gens, si on s’attaque soi-même aux plus faibles des êtres vivants ? Mais personne n’est parfait, et tout le monde a ses propres contradictions, j’imagine.

En tous cas, ce qu’il dit à propos de l’affaire Abdelkader Merah (mais c’est vrai pour n’importe quelle autre) est parfaitement juste :

– tout homme, même le pire (après tout, à Nuremberg, les nazis avaient des avocats, et personne n’y a trouvé à redire) a le droit d’être défendu. C’est le rôle d’un avocat. C’est ce qui fait la différence avec une dictature.

– ce ne sont ni les politiques, ni les journalistes, ni « l’opinion publique » (manipulée par les précédents) qui doivent décider, et surtout pas en fonction de l’actualité du moment.

– la justice, si elle existe encore, ne peut décider que sur la base de preuves tangibles, irréfutables, et sur celle du droit.

Extraits de la préface de son livre, Directs du droit :

En quatre ans, j’ai encore vu changer le monde que je connais le mieux : celui de la justice. Depuis que j’ai prêté le serment d’avocat, en 1984, ce monde est en révolution perpétuelle, pas forcément pour le meilleur. Les lois, votées à la va-vite et au doigt mouillé, les lois, propulsées dans le code pénal par le vent versatile de l’émotion alors qu’elles devraient résister à cette tornade, les lois se durcissent. Les faits divers successifs modèlent et remodèlent la hiérarchie des crimes : du temps où André Gide siégeait comme juré à la cour d’assises de la Seine-Inférieure, il était plus grave d’incendier une grange que de violer une fille de ferme. Nous étions au début du XXe siècle, avant la Grande Guerre, avant l’acquittement de Raoul Villain, l’homme qui avait assassiné Jaurès en 1914 : le pire des crimes, après la défaite de l’Allemagne, c’était le pacifisme, et la veuve de Jaurès fut même condamnée aux dépens. À la fin des années 1990, quand éclatèrent, en Belgique l’affaire Dutroux, et dans le Pas-de-Calais celle d’Outreau, la pédophilie, communément présentée comme plus grave que l’homicide, était hissée par l’opinion sur la plus haute marche de ce dérisoire podium. Depuis janvier 2015 et la tuerie de Charlie Hebdo, il n’est pas pire abomination que l’attentat islamiste. Peu importe ces échelles éphémères : les appels à la sévérité aveugle (donc injuste) se multiplient ; les établissements pénitentiaires français n’ont jamais été aussi surpeuplés, mais des députés veulent supprimer les aménagements de peine pour certaines catégories de détenus, créer des « Guantánamo à la française » pour des suspects qui n’ont pas été condamnés, transformer la Constitution en blanc-seing pour le tout-répressif. Ce n’est donc plus « surveiller et punir », comme du temps de Michel Foucault, mais punir d’abord pour mieux surveiller, au cas où. La société de ce début de XXIe siècle se met à ressembler à ce qu’avaient imaginé des auteurs de science-fiction comme George Orwell ou Philip K. Dick.

[…]

Le juge qui, par exemple, s’apprête à placer sur écoutes un citoyen soupçonné d’un crime ou d’un délit a lu dans les médias ces témoignages d’autres citoyens à qui l’on demande s’ils accepteraient de renoncer à une partie de leurs libertés fondamentales au profit d’une plus grande sécurité, et qui répondent : « Je n’ai rien à cacher, donc cela ne me choque pas d’être espionné. » Notre juge sera d’autant moins circonspect pour signer l’autorisation de l’écoute. Mais quelle drôle de logique ! C’est bien parce qu’on n’a rien à se reprocher qu’il faut se battre pour que notre téléphone, notre ordinateur, notre logement soient des sanctuaires de notre liberté. Et puis il s’agirait de se mettre d’accord sur la notion de « rien à se reprocher ». Une chose est d’être pénalement irréprochable, une autre est de l’être dans l’absolu. Nous avons tous des secrets, même des petits secrets. Ils font partie de notre humanité et ne regardent personne. Je suis résolument opposé à la transparence. Je refuse de devenir, à cause de la loi, un être transparent. Les palais de justice doivent se calfeutrer pour que les assauts du moralisme restent à leur porte. Mais l’époque n’est pas à ce discours. Les attentats islamistes qui ensanglantent la France sont instrumentalisés par les responsables politiques et je crains qu’une majorité de mes contemporains ne voient pas le danger qu’il y a à abandonner une once des libertés conquises de haute lutte au fil des siècles.

[…]

Aujourd’hui, l’information en continu et, dans un tout autre style, une certaine forme de journalisme dit « d’investigation » dictent leur loi, parallèle à celle qui a cours dans les tribunaux. Les reporters des chaînes de télévision « tout info » ne disposent, la plupart du temps, pour valider leurs approximations, que d’un seul élément qui vaut preuve : ils sont filmés devant une gendarmerie ou un commissariat de police. Quant aux chasseurs de scoops qui officient dans des journaux (ou sur des sites) supposés de référence, ils pratiquent volontiers un journalisme d’hallali qui me gêne profondément.

[…]

L’avocat n’a bonne presse que s’il est du côté des victimes, je le sais d’autant mieux qu’il m’arrive d’en assister. L’opinion n’a que faire de la présomption d’innocence, foulée aux pieds par les envoyés spéciaux devant les gendarmeries ou leurs confrères qui jettent des noms en pâture. 

Et de citer Me Bocquillon, avocat d’un autre monstre, Patrick Henry, en 1976 :

Gouverner, ce n’est pas recueillir, pour y trouver profit, la peur qui nous fait perdre raison, la haine qui nous rend incapables. Gouverner, ce n’est pas nous flatter ni nous ressembler quand nous devenons médiocres. Qu’une partie de la presse ait fait le même et médiocre métier, qu’elle ait alimenté la colère en détails inventés, en interviews insupportables, en commentaires destinés à faire peur, à faire mal, et surtout à faire vendre ; qu’elle se soit dégradée jusqu’à célébrer la haine et regretter qu’il y ait des juges là où il suffirait d’un bourreau ; qu’elle ne se sente d’autre mission que de suivre l’opinion publique, de l’exaspérer, quand il faudrait l’éclairer et la retenir car elle devient féroce : cela non plus ne se comprend ni ne s’excuse. Que des avocats refusent de remplir leur mission sous le prétexte qu’une cause est “implaidable”, en vérité pour des raisons trop évidentes, cela non plus ne s’excuse pas. La seule justification de l’avocat, c’est d’essayer d’être, partout et toujours, la “défense”, d’être présent aux côtés de tous, et même du pire d’entre nous, surtout du pire d’entre nous, qui n’a plus rien, ni foi, ni conscience, ni droit, ni ami, ni juge, quand la haine et la colère l’emportent à la mort. Être avocat, messieurs qui ne défendez jamais, sans doute, que des veuves et des orphelins, ce n’est pas justifier, ce n’est même pas excuser. C’est interdire à la haine d’être présente à l’audience.

Il y a plusieurs manières de défendre la vie de nos enfants. En assurant la sécurité publique, oui ! En punissant ceux qui les agressent, ceux qui les tuent, oui encore, quand des juges sans colère ni vengeresse précipitation les auront estimés coupables. Mais défendre ceux que l’on aime c’est aussi, c’est surtout, leur construire un monde où la justice [l’emporte] sur la violence, le courage sur la lâcheté, la politique sur la démagogie. Le monde que nous préparent, avec leurs discours haineux, leurs vitupérations serviles, leurs dérobades, ces politiciens, ces journalistes complaisants, ces avocats qui refusent de l’être, c’est un monde sinistre. On ne défend pas la vie en travaillant à l’avilir. 

Toujours d’actualité, mon père Hugo :

A ceux qu’on foule aux pieds

Oh ! je suis avec vous ! j’ai cette sombre joie.
Ceux qu’on accable, ceux qu’on frappe et qu’on foudroie
M’attirent ; je me sens leur frère ; je défends
Terrassés ceux que j’ai combattus triomphants ;
Je veux, car ce qui fait la nuit sur tous m’éclaire,
Oublier leur injure, oublier leur colère,
Et de quels noms de haine ils m’appelaient entre eux.
Je n’ai plus d’ennemis quand ils sont malheureux.
Mais surtout c’est le peuple, attendant son salaire,
Le peuple, qui parfois devient impopulaire,
C’est lui, famille triste, hommes, femmes, enfants,
Droit, avenir, travaux, douleurs, que je défends ;
Je défends l’égaré, le faible, et cette foule
Qui, n’ayant jamais eu de point d’appui, s’écroule
Et tombe folle au fond des noirs événements ;
Étant les ignorants, ils sont les incléments ;
Hélas ! combien de temps faudra-t-il vous redire
À vous tous, que c’était à vous de les conduire,
Qu’il fallait leur donner leur part de la cité,
Que votre aveuglement produit leur cécité ;
D’une tutelle avare on recueille les suites,
Et le mal qu’ils vous font, c’est vous qui le leur fîtes.
Vous ne les avez pas guidés, pris par la main,
Et renseignés sur l’ombre et sur le vrai chemin ;
Vous les avez laissés en proie au labyrinthe.
Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte ;
C’est qu’ils n’ont pas senti votre fraternité.
Ils errent ; l’instinct bon se nourrit de clarté ;
Ils n’ont rien dont leur âme obscure se repaisse ;
Ils cherchent des lueurs dans la nuit, plus épaisse
Et plus morne là-haut que les branches des bois ;
Pas un phare. A tâtons, en détresse, aux abois,
Comment peut-il penser celui qui ne peut vivre ?
En tournant dans un cercle horrible, on devient ivre ;

La misère, âpre roue, étourdit Ixion.
Et c’est pourquoi j’ai pris la résolution
De demander pour tous le pain et la lumière.

Victor Hugo, L’année terrible

4 Réponses

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  1. d’ac avec toi. et je t’aime pour toujours quand tu dis des trucs comme : « Je ne l’apprécie pas, mais seulement parce que c’est un chasseur invétéré et qu’il est fan de corrida… Comment prétendre défendre les gens, si on s’attaque soi-même aux plus faibles des êtres vivants ? Mais personne n’est parfait, et tout le monde a ses propres contradictions, j’imagine. » bon, à part que le fait d’être contradictoire n’est pas une excuse valable pour chasser et aimer la corrida, mais je suis sûre qu’in petto c’est ce que tu penses vraiment ;-)))))))))))))

    zozefine

    5 novembre 2017 at 10 h 25 min

  2. Excellent billet. Rien à retirer. Complètement d’accord.
    La séparation des pouvoirs… Même Louis XIV dût en rabattre contre le Parlement de Paris qui avait refusé d’entériner quelques édits.
    Aujourd’hui, les « politichiens » avancent au sondage, et tiennent la magistrature assise bien en pogne. Il en faut du courage pour agir sereinement et résister aux pressions de la rue, du gouvernement et de la presse.
    Désormais, à l’instar de Jules Romain dans Knock : « Tout citoyen est un suspect qui s’ignore ».

    Max Angel

    5 novembre 2017 at 11 h 26 min

  3. Je m’interroge beaucoup sur le terrorisme islamique qui à la base n’est pas le fruit d’un Etat constitué ayant une puissance industrielle, militaire et financière. Les raisons de sa survivance un peu partout dans le monde questionne sur qui a intérêt à sa survie. « Les nazis avaient décidés qui devait et qui ne devait pas habiter cette planète », (Hannah Arendt, Eichmann à Jérusalem) Qui joue aux nazis aujourd’hui? Qui a intérët à propager cette « Grande Peur » new look autour de la planète?
    https://comptoir.org/2017/11/01/lindustrie-de-la-terreur-aux-origines-du-nazisme/

    Anonyme

    5 novembre 2017 at 13 h 03 min

  4. Erratum, ce n’est pas un « anonyme » qui a écrit le post précédent.

    Robert Spire

    5 novembre 2017 at 13 h 05 min


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