LES VREGENS

« Réparer les vivants » (Maylis de Kérangal)

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Ce matin, j’ai achevé la lecture de ce roman, en larmes. C’est vrai, je suis très émotif comme garçon, mais tous les romans que je lis ne me mettent pas pour autant dans cet état ! Et puis, j’ai pleuré à cause du sujet principal du récit, certes, mais c’est aussi l’immense et constant plaisir de lecture provoqué par la beauté de l’écriture, qui a fait couler les larmes.

 Réparer les vivants_verso

J’avais lu « Naissance d’un pont » (2010) et j’avais été comme envoûté par une écriture d’une puissance métaphorique et poétique, quasi cinématographique :

 « … cette écriture très visuelle – renforcée par de nombreuses images qui se démarquent de la pratique littéraire habituelle en mêlant constamment le trivial et le poétique -, s’accompagne aussi, comme au cinéma, d’un travail approfondi de la «bande-son» rendant très présent ce bruyant chantier, avec un soin particulier apporté aux bruitages… » (in L’or des livres)

***

 Réparer les vivants_recto

Avec « Réparer les vivants » je retrouve cette même attraction irrésistible, ce phrasé, ce rythme qui vous scotche de page en page comme le ferait un tempo de percussions africaines sur une piste de danse ou la mélopée d’un chant berbère.

Et l’entrée en « transe » commence dès la première page :

 « Ce qu’est le coeur de Simon Limbres, ce coeur humain, depuis que sa cadence s’est accélérée à l’instant de la naissance quand d’autres coeurs au-dehors accéléraient de même, saluant l’événement, ce qu’est ce coeur, ce qui l’a fait bondir, vomir, grossir, valser léger comme une plume ou peser comme une pierre, ce qui l’a étourdi, ce qui l’a fait fondre – l’amour ; ce qu’est le coeur de Simon Limbres, ce qu’il a filtré, enregistré, archivé, boîte noire d’un corps de vingt ans, personne ne le sait au juste, seule une image en mouvement créée par ultrason pourrait en renvoyer l’écho, en faire voir la joie qui dilate et la tristesse qui resserre, seul le tracé papier d’un électrocardiogramme déroulé depuis le commencement pourrait en signer la forme, en décrire la dépense et l’effort, l’émotion qui précipite, l’énergie prodiguée pour se comprimer près de cent mille fois par jour et faire circuler chaque minute jusqu’à cinq litres de sang, oui, seule cette ligne-là pourrait en donner un récit, en profiler la vie, vie de flux et de reflux, vie de vannes et de clapets, vie de pulsations, quand le coeur de Simon Limbres, ce coeur humain, lui, échappe aux machines, nul ne saurait prétendre le connaître, et cette nuit-là, nuit sans étoiles, alors qu’il gelait à pierre fendre sur l’estuaire et le pays de Caux, alors qu’une houle sans reflets roulait le long des falaises, alors que le plateau continental reculait, dévoilant ses rayures géologiques, il faisait entendre le rythme régulier d’un organe qui se repose, d’un muscle qui lentement se recharge – un pouls probablement inférieur à cinquante battements par minute – quand l’alarme d’un portable s’est déclenchée au pied d’un lit étroit, l’écho d’un sonar inscrivant en bâtonnets luminescents sur l’écran tactile les chiffres 05:50, et quand soudain tout s’est emballé… »

 ***

Je ne vais pas en rajouter, et surtout ne pas en faire trop. Devant un tel talent d’écriture, on se tait, on lit, c’est tout. D’ailleurs, les critiques et réactions élogieuses s’accumulent ici et là. « Naissance d’un pont » a été primé (Médicis 2010 notamment), « Réparer les vivants » est bien parti pour faire au moins aussi bien. Si vous ne connaissez pas cette auteure, vous pouvez la retrouver sur cette courte vidéo enregistrée dans une librairie normande.

 


Written by Juléjim

31 janvier 2014 à 17 h 10 min

5 Réponses

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  1. Wow…

    sleepless

    3 février 2014 at 22 h 38 min

  2. […] avis, ils sont contrastés : Juléjim, Tonio, Zagazou, Céleste, Lili, Clara (qui fait même du lobbying par mail ;)), Flopaulhac, […]

  3. C’est vrai , on est « en transe » dès les premières pages , en ce qui me concerne ce fut au point de ne plus pouvoir en interrompre la lecture ….Oui ce livre fait fondre en larmes et tu as eu du courage pour te plonger dans un tel sujet de roman !
    Accepter que les organes de son enfant sauvent d’autres vies est un bel acte d’amour; j’ai beaucoup aimé !! Juliette

    Anonyme

    26 février 2014 at 10 h 32 min

    • Oh non, chère Juliette, je n’ai personnellement aucun mérite tellement la qualité d’écriture de l’auteure m’a porté de phrase en phrase jusqu’au dénouement. Et puis tous les personnages de ce roman font partie de ces belles personnes que l’on n’a pas envie de quitter n’est-ce pas ?

      😉

      Juléjim

      26 février 2014 at 17 h 59 min

      • Tout à fait en accord avec tes propos ! On aurait envie de rencontrer tous les personnages si plein de cette belle humanité ….
        Tu m’as donné envie de lire d’autres ouvrages de cette auteure .Merci cher Juléjim !

        Anonyme

        27 février 2014 at 11 h 14 min


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