LES VREGENS

Résister, toujours …

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La Révolution leur criait : – Volontaires,

Mourez pour délivrer tous les peuples vos frères !

– Contents, ils disaient oui.

– Allez, mes vieux soldats, mes généraux imberbes !

Et l’on voyait marcher ces va-nu-pieds superbes

Sur le monde ébloui !

Victor Hugo, Les soldats de l’an II

Ces derniers jours, j’ai regardé le début de la septième saison de Le village français.

C’est une série que j’ai suivie depuis le début, et que je trouve vraiment remarquable. Au-delà des querelles d’historiens, elle montre une réalité en demi-teinte de la France de cette époque.

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Ni « tous résistants », ni « tous collabos ».

Quelques individus, les purs, ceux qui dès 1940, s’engagèrent dans la résistance, et notamment les communistes, mais aussi quelques membres de l’Action Française, et peu après, quelques gaullistes. L’union sacrée face à l’occupant nazi.

De vrais collaborateurs, français, qui firent non seulement de juteuses affaires avec « les boches », mais plus encore, dénoncèrent, torturèrent, et envoyèrent à la mort des milliers de gens (juifs et opposants) sans le moindre remords.

Mais la série montre surtout une grande majorité de gens ballottés par les événements, qui essayaient seulement de survivre, de faire « le mieux possible », quitte à faire des « concessions » sur l’inacceptable et à fermer les yeux.

Parfois, cette situation, cet état d’esprit, me fait penser à notre présent, où l’indifférence – malgré de confortables et inutiles indignations – est quasi-générale face au malheur d’autrui.

Alors, cette septième et dernière saison raconte l’après. Après la Libération vient le temps de « l’épuration ». Le moment où se révèlent les résistants de la dernière heure, les courageux tondeurs de femmes, forts seulement face aux faibles, et en même temps laissant courir les anciens collabos, revenus très vite aux manettes, sous une autre étiquette. Les magouilles politiques (déjà) pour s’emparer du pouvoir.

Et c’est la raison pour laquelle j’ai aussi regardé un documentaire, diffusé en deux parties, Après la guerre, la guerre continue.

Pour ceux qui l’ont raté :

 

Dans le premier volet de ce documentaire, j’ai notamment découvert un personnage dont (honte à moi) j’ignorais totalement l’existence. C’est Georges Guingouin, premier résistant de France, surnommé le « préfet du maquis » en Limousin et affectueusement baptisé par les habitants « Lo grand ».

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Béotienne, j’ai donc cherché d’autres renseignements. Gogole est notre ami, wikipédia aussi.
Et j’ai découvert qu’un téléfilm, réalisé par François Marthouret (que nous connaissons tous en tant qu’acteur, je le trouve plutôt bon, d’ailleurs) avait été diffusé en janvier 2013 sur France 3, racontant l’histoire de ce grand résistant.

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François Marthouret

Le grand Georges, un film de François Marthouret

Au passage, j’ai aussi découvert l’article d’Edwy Plenel au sujet de ce film (c’est pour ce genre de textes que je suis abonnée à Médiapart) : Georges Guingouin, en souvenir des résistances à venir

Et j’ai aussi réussi à voir « Le grand Georges ».

Ce film raconte l’histoire de ce modeste instituteur de Saint-Gilles-les Forêts, en Haute-Vienne. Et comment, militant communiste et entré en résistance dès l’été 1940, (voir ici son appel à la lutte, daté d’août 1940) il devient peu à peu « le Préfet du maquis ».

On y découvre aussi l’attitude du « comité central » du PC, Duclos et Thorez en tête, en train de réécrire l’Histoire. Notamment avec le prétendu « Appel du 10 juillet 1940 », un texte intitulé Peuple de France, rédigé « aux alentours du 15 juillet 1940 », et signé « au nom du Comité Central du Parti Communiste Français » à la fois par Maurice Thorez (qui se trouvait alors bien à l’abri à Moscou), et Jacques Duclos (qui résidait dans la clandestinité près de Paris).

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Sur ce document (publié dans l’Humanité du 12 décembre 1947), on peut lire : Directeur : Marcel Cachin. Or, en juillet 1940, Marcel Cachin vivait encore tout à fait légalement en Bretagne. Il n’a été arrêté qu’en 1941, n’est resté que quelques jours en prison, et c’est seulement ensuite qu’il est entré dans la clandestinité. Il n’aurait donc pas pu signer un appel dans l’Humanité clandestine, sauf à vouloir être immédiatement arrêté…

Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé.

George Orwell, 1984

Alors que dans le même temps, le PCF proclamait « être sans haine vis-à-vis des soldats allemands », il a tout tenté pour se débarrasser du rebelle Guingouin. Y compris l’assassinat, pour avoir refusé d’attaquer Limoges :

Le colonel F.T.P. refuse d’attaquer Limoges

Le colonel F.T. P., Georges Guin­gouin commande, en 1944, les F. F. I. du département de la Haute-Vienne. Un ordre vient, émanant de Léon Mauvais au nom du comité central de la zone Sud, lui enjoignant de prendre Limoges. D’autres opérations du même genre ont déjà été tentées ailleurs. Profitant du moment opportun et des forces dont il dispose, le parti communiste veut s’assurer les préfectures, les mairies. Guingouin refuse d’obéir.

En effet, la division S.S. « Das Reich » est immobilisée depuis quatre jours dans la région limousine, essayant de gagner la Normandie pour s’opposer à l’avancée alliée, mais empêchée par les actions des maquisards, qui font sauter les ponts et les voies de passage.

Ainsi, le 9 juin, cette « unité d’élite » de l’armée allemande a repris Tulle, provisoirement  libérée par les F.-T. P. : 99 pendus, la moitié de la population déportée ; le 10 juin, les mêmes S.S. incendient Oradour-sur-Glane et massacrent les habitants.

Le souvenir de ces tueries obsède Guingouin : il ne veut pas que Limoges connaisse les mêmes horreurs. Il sait que ses hommes prendraient la ville, mais ne pourraient contenir une contre-attaque des blindés allemands. Après avoir consulté les officiers de son état-major, il n’exécute pas l’ordre donné. Georges Guingouin est condamné, car l’indiscipline n’est pas tolérée au sein du parti. Léon Mauvais se fera l’instrument du châtiment.

Un homme de confiance, extrait d’un maquis F.-T, P. de Corrèze, est envoyé auprès de Guingouin avec mission de l’abattre. Ses pièces d’identité le présentent comme Jean-Louis Marchat; son pseudonyme de maquis: «Tino». On ne connaîtra jamais son véritable nom.

Parvenu dans l’entourage du colonel F.-T. P., il est dépisté par les gardes du corps; interrogé, il avoue la mission dont l’a chargé le comité central ; on lui fait signer une déposition avant de l’exécuter.

Mais il n’y a pas deux vérités au PC, qui ne reconnaîtra jamais les faits.

Georges Guingouin finira par être « exclu du PC », en 1952.

Pour moi, Le Grand Georges montre aussi la différence entre « être membre du Parti » et être communiste.

Il faut savoir que bien avant la Libération, en fait dès le début de l’occupation allemande, l’union était réalisée entre les combattants du Limousin, au coude à coude, les sans parti, les catholiques, les socialistes et les communistes. Et dès 1943, de nombreux réfractaires au STO rejoignirent les rangs des maquisards, partout en France. Tous souhaitaient créer un large « front national » unissant tous les groupes qui participaient à la Résistance, sous ses formes les plus diverses, ce qui donnera plus tard les bases du programme du C.N.R. Georges Guingouin aspirait à l’union de tous ceux qui avaient « servi la patrie », de ceux qui n’avaient « jamais désespéré d’elle dans les plus durs moments ». Y compris les non-communistes.

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Comme la série Le Village Français, Le grand Georges montre aussi comment tous les rescapés de l’administration pétainiste, qui ne furent pas inquiétés, continuèrent leur « carrière », comme ce flic tortionnaire qui va même monter en grade après la Libération, passant de la police de Vichy à celle de la République, décidément bonne fille avec les ordures : le commissaire Caverivière, épaulé par l’inspecteur Aliphat.

Ce flic va monter de toutes pièces un dossier d’accusation de meurtre à l’encontre de Georges Guingouin. Quant au juge qui va le faire jeter en prison, lui aussi est un ancien collaborateur, c’est lui qui avait délivré un mandat d’arrêt en 1943 à l’encontre du même Guingouin, pour « terrorisme ».

L’affaire Georges Guingouin

Car « l’affaire Guingouin » débute dès 1945, au moment où Lo Grand remporte l’élection à la mairie de Limoges, avec un article du journal L’époque qui titre : « Banditisme et lâcheté : le soviet limousin ». Le journal est condamné pour diffamation. Mais la première estocade est portée.

Georges Guingouin va être victime d’une véritable machination, montée par des policiers et des magistrats qui avaient collaboré durant la guerre. Ainsi, l’accusation de meurtre est portée par le commissaire Caverivière épaulé par l’inspecteur Aliphat. Les anciens vichystes veulent se venger, lui faire payer ses actes de résistance, quant aux communistes, ils veulent lui faire payer des actes de rébellion contre « la ligne » du parti. Guingouin est exclu du PC en 1952.

Attaqué de toutes parts, Guingouin est isolé. C’est la curée. Elle est menée par le député socialiste de Limoges, Jean Le Bail, qui considère la Résistance comme « une farce grotesque »et qui se répand dans les colonnes du quotidien Le Populaire du Centre en écrivant des articles comme « Limousin, terre d’épouvante » à la veille de Noël 1953. Guingouin est arrêté le 24 décembre 1953, et incarcéré à Brive. Molesté par ses gardiens, c’est de justesse qu’il échappe à la mort.

Des groupes de soutien se forment bientôt autour de Georges Guingouin. Ils font pression sur le juge d’instruction qui charge trois experts de l’examiner. Ceux ci relèvent les traces de sévices et écrivent  » que l’état de Georges Guingouin inspire de réelles inquiétudes pour sa vie. »

Un Comité de défense se créé avec Claude Bourdet (Nouvel Observateur) et Françoise Seligman. C’est un jeune avocat qui défend Guingouin lors de son procès, il s’appelle Roland Dumas, et est le fils de Georges Dumas, résistant lui aussi et fusillé par les Allemands en mars 1944 à Brantôme.

Guingouin obtient le non lieu, le procureur lui même, affirmant « ne pas comprendre, en son âme et conscience, qu’on ait envisagé des poursuites contre Georges Guingouin. » Mais cette réhabilitation n’arrivera qu’en 1959…

Pendant que la France emprisonnait ses résistants,  Heinz Lammerding, le bourreau d’Oradour, ne sera jamais extradé par l’Allemagne, et finira ses jours en 1971. Dans son lit.

La philosophie de l’Histoire m’a appris que les précurseurs ont toujours tort et que les guerres de libération nationales, menées exclusivement par des volontaires, sont les plus cruelles qu’aient à subir les nations. Le sacrifice de leurs meilleurs fils atteint irrémédiablement la fibre morale des peuples et, l’épreuve passée, c’est le temps des habiles et la revanche de ceux qui manquèrent de courage. Le temps de la décadence morale succède au temps où l’homme s’élève face à l’événement. 

Georges Guingouin

Bibliographie non exhaustive :

4ans-de-lutte-nouvelle-edition
georges-guingouin-909817065-l
gg-prison

 

 

 

 

 

 

Written by Gavroche

7 novembre 2016 à 12 h 30 min

4 Réponses

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  1. je suis GUINGOUIN …
    et rien d’autre …
    le courage d’un juste, ce sont les actes qui le mesurent, les autres ce sont leurs bla-blas, aujourd’hui, la communication,
    ces beaux-parleurs . ils n’ont que ça pour exister … petitement.

    randal

    8 novembre 2016 at 12 h 18 min

  2. Je ne sais où vivait Cachin en 40, mais je sais que Vaillant Couturier est mort en 1937 ! Il n’en demeure pas

    Anonyme

    8 novembre 2016 at 15 h 22 min

  3. ……Il n’en demeure pas moins rédacteur en chef du journal. Hommage des vivants de l’époque, sans doute .

    Langlois Michel

    8 novembre 2016 at 15 h 25 min

    • donc … quel rapport avec le fond de l’article ? A savoir la forfaiture de tous ceux qui ont voulu se venger de Guingouin, appareil communiste en tête, complice d’anciens collabos (policiers notamment) …

      randal

      8 novembre 2016 at 18 h 08 min


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