LES VREGENS

Moutons

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J’ai lu un article très intéressant sur le site affordance.info, intitulé La politique de la loterie dans la start-up nation.  

Et je vous invite vivement à le lire, même si je sais (depuis Schneidermann qui l’avait déjà dit il y a au moins dix ans sur ASI) que seulement 10 % des lecteurs LISENT LES LIENS. Bande de feignants.

Parce que ce qu’il raconte, le gars Olivier Ertzscheid (maître de conférences en sciences de l’info et de la communication, excusez du peu, des fois, on se sent tout petit), est parfaitement juste. Et en plus, il est drôle.

La république en marche dans la start-up nation c’est donc cela : des élus qui proposent un loto pour sauver le patrimoine et un crowdfunding pour financer les associations. Non. Mais. Sans. Déconner. Comme le faisait judicieusement remarquer Mandilou sur Twitter :

« Putain mais vous n’avez pas été élus au comité de fêtes de la commune !!!« 

Rajoutant au passage : 

« Prochaine étape : vendre des gâteaux à la sortie de l’école pour payer les profs ». 

Nos « représentants » sont désormais comme les maires des petits villages : leur boulot, c’est (éventuellement) de faire repeindre les grilles du portail du cimetière communal. Et point barre.

La spectacularisation de l’action politique pour pallier son incurie à assumer les missions régaliennes qui sont pourtant les siennes n’est bien sûr ni récente ni inédite. Le Téléthon et autres Sidaction ont – hélas – montré à quel point le recours à la mise en scène de la maladie et de la souffrance était devenu la condition sine qua non de l’existence d’une recherche publique de pointe sur ces questions. 

La politique et le reste comme spectacle.

Et le Seigneur Macron est mon berger

La charité au lieu de la solidarité, voire de la fraternité. Et encore. Si le malade n’est pas « intéressant », il n’a aucune chance.

Tiens, Macron y est allé de ses  trémolos larmoyants (mais gratuits) à la gloire des Restos (d’ici à ce qu’on canonise Coluche, y’a pas loin) mais a quand même déclaré à « Amina » qu’elle devait « rentrer chez elle ». « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde » (© Rocard et Macron) ni tous les bougnoules de la terre (sauf s’ils sont saoudiens, œuf corse). Les autres, on leur offre (éventuellement) une soupe, et point barre. Ils peuvent bien se noyer devant notre porte, tant qu’on peut profiter du blaque fridé, tout va bien. Pas intéressante, Amina.

Bien la peine de pleurnicher sur la mort d’Aylan Kurdi.

Mais on le constate aussi chez les autres : comme aux Z’Etats-Unis, où en 2009 (mais je suppose que ça ne s’est pas arrangé depuis), pour être soignés, les malades sont … tirés au sort.

Une autre forme de loterie. Et comme le disait la madone des patrons, « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? »

Aujourd’hui, le service public de la cuculture est donc remplacé par le loto pour « sauver le patrimoine », et le petit « historien » (histrion?) Stéphane Bern nommé comme « responsable du patrimoine ». Si ce n’était pas franchement drôle, ce serait terrifiant.

D’ailleurs, quand on parcourt (d’un derrière distrait, comme disait Henri Jeanson, mais qui le connaît aujourd’hui ?) les pages « culture » du site France Info (c’est le cas de le dire qu’on en tombe sur le cul) : on trouve le quizz culture générale (rires) des miss France…

Et tout ça me fait furieusement penser à Franck Lepage, dont les « conférences gesticulées » sont toujours d’actualité (et qu’on trouve pour la plupart sur TonTuyau).

D’ailleurs, les « financements participatifs » le nom français de « crowfunding », c’est un « secteur en expansion », comme disent les zéconomistes, un « marché porteur ».

La charité se vend d’abord elle-même et c’est en cela qu’elle lève un nuage de fumée devant le réel. Cyniquement, à bon compte, elle permet à peu de frais de se grandir aux yeux des autres et à ses propres yeux sans jamais toucher aux causes de sa nécessité. 

Gérard Mordillat

Et tout le monde en « profite », de cette charité « communautaire », par exemple, les associations (mais oui, celles qui ont perdu leurs contrats aidés) : pourquoi ne pas revendiquer de vrais contrats, et pas des aumônes, hein ? Pourquoi ne pas revendiquer une aide officielle, pérenne, constante, ou même soyons fous, une prise en charge totale de la misère par l’État ? Pourquoi ne pas revendiquer la fin de la misère ?

Dans notre monde, les citoyens sont gentiment transformés en consommateurs, de charity bizenesse, donc, mais aussi d’info : un clou chasse l’autre, ou la civilisation du zapping. Mais attention, pas n’importe quelle info, seule sera autorisée une info soigneusement censurée filtrée… une info bien propre sur elle.

Et tout ça ne se joue pas sur une éventuelle réflexion (surtout pas) mais uniquement sur l’émotion. « Comprendre, c’est déjà excuser », n’est-il pas. Pas de recul, rien, on fonce tête baissée, on est tous Charlie, même quand il faut défiler derrière les pires salopards de la planète.

On fait des « marches blanches » pour les joggeuses assassinées (ce qui a priori ne les fera pas revenir, mais ça ne coûte pas cher, et en tous cas ça donne l’illusion de participer à quelque chose de commun, j’imagine) mais on ne descend pas dans la rue pour défendre l’avenir de nos gosses.

On donne des RTT à « la maman de Maelys », mais on ne se bat plus pour réduire le temps de travail, et pour que toutes les mamans de toutes les Maelys de la terre puissent en avoir, des RTT. On ne se bat plus pour défendre l’hôpital public. On ne se bat plus pour un monde plus juste, ou au moins un peu plus égalitaire.

Une manière de nous habituer (comme la grenouille dans la casserole) au détricotage de nos acquis de haute lutte depuis deux siècles.

La sécu, créée en quelques mois seulement en 45 par les militants de la CGT (et on peut leur dire merci, quoi qu’elle soit devenue aujourd’hui) était basée sur quatre grands « principes » (ouh, le vilain mot ringard, un peu comme celui de « morale »)

Le premier, c’est l’unicité : dans une seule caisse, au plus proche des habitants, par département, on va grouper tous les risques sociaux (maladie, vieillesse, maternité). De la naissance jusqu’au décès, les gens peuvent disposer de tous leurs droits sur place et au même endroit.

Le deuxième grand principe au moment de la fondation de la Sécu, c’est celui de l’universalité. On le doit principalement à Croizat. Tout le monde sera soigné. Ceux qui ne le veulent pas, c’est parce qu’ils l’ont refusé, comme les fonctionnaires ou les cheminots qui ont décidé d’avoir leurs propres caisses.

Le troisième, et il constitue l’exception française, c’est la solidarité. La Sécu est financée essentiellement par la cotisation sociale par répartition et par solidarité, qu’on soit bien portant ou malade, vieux ou jeune, actif ou non actif. Ce qui est formidable dans la cotisation sociale, contrairement à l’impôt, c’est qu’elle va directement du cotisant au bien-être des gens. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle aujourd’hui, on voudrait supprimer les cotisations sociales, parce que cet argent ne passe par aucun actionnaire, aucune banque, il va directement aux gens qui en ont besoin.

Le dernier pilier de la Sécu, qui est à imputer à Croizat aussi, c’est la démocratie. Si on veut permettre l’accès au droit de la santé pour tous, il faut que l’institution soit gérée par les intéressés eux-mêmes. C’est l’idée des conseils d’administration à majorité ouvrière.

La sécu a été entièrement bâtie dans un pays en ruines grâce à la seule volonté militante

Démocratie, universalité, solidarité… se sont transformées en charité. Le « partage » c’est désormais un gros gâteau pour moi, et quelques miettes pour toi, le misérable.

Amen. Et circulez, y’a rien à voir. De peuple, on devient foule aveugle. De citoyens engagés on devient moutons bêlants.

Written by Gavroche

26 novembre 2017 à 11 h 53 min

6 Réponses

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  1. rien à ajouter à ce rappel …
    tout est dit !

    randal

    26 novembre 2017 at 12 h 33 min

  2. sur la sécu sociale, lepage, incontournable, qui explique aussi ce que sont les rapports de force, à 1’20 » https://youtu.be/2TGgIhq0ue8 au moment de la création de la sécu, « vous avez un patronat qui a juste le droit de se taire et vous avez un parti communiste à 24% qui est…. armé » (geste à l’appui). ben voilà quoi.

    je vais le lire, l’article ;-))))))))))

    Anonyme

    26 novembre 2017 at 13 h 24 min

    • mais non, c’est pas anonyme, c’est moi le commentaire avant, me suis vautrée dans les clic clac.

      zozefine

      26 novembre 2017 at 13 h 26 min

  3. Excellent article.
    C’est beau comme l’effondrement de l’empire romain. Nous sommes bien en pleine mutation. Vers le meilleur ? J’en doute de plus en plus.
    Non ! Ce qui importe c’est l’enrichissement des riches. Point final. Le reste… le populo, la valetaille, depuis les chômeurs jusqu’aux cadres, (mais ces derniers ne le croient pas !) qu’ils se démerdent et s’enrichissent !
    Que chacun s’agenouille devant le Veau d’Or et Macron est l’un de ses grands prêtres.
    La start-up Nation ? La plus belle fake-news du siècle. Le petit Bonaparte du Directoire n’est qu’un has been qui finalise une politique commencée dans les années 80, celle de la dictature du néo-libéralisme. Merci au PS, à la CFDT, et aux partis de droite ! Vive la crise ! Années Tapie, années Mitterrand, années Montand… Et Delors construisait l’ Europe bruxelloise dont nous dépendons avec les succès que nous constatons. Jamais les écarts entre riches et pauvres n’a été aussi grand au cours de l’Histoire de l’humanité.
    Quant à la montée des extrêmes droites un peu partout dans le monde occidental, elle n’est que la résultante du système mondialisé financiarisé.

    Max Angel

    26 novembre 2017 at 18 h 09 min

  4. Concernant Schneidermann, il s’agissait des articles de Justine Brabant sur l’Afrique qui fourmillaient de liens, et il me semble qu’il parlait même de 1% mais peut-être me trompe-je.

    alainbu

    26 novembre 2017 at 18 h 27 min

  5. Le «détachable» que décrit Olivier Ertzscheid date de bien plus longtemps que le Téléthon et autres Sidaction. Selon Alexia Morvan, membre de l’ex-scop Le Pavé, ce détachement (qu’elle qualifie de «dépossession ou expropriation») advient lors de la création des syndicats et, par la suite sur le même modèle, des associations loi 1901. Hormis l’aspect de dépolitisation que ces deux institutions voient inscrite dans leur raison d’être, elles permettent à l’État de se décharger sur elles (de «détacher»), particulièrement dans le domaine de l’éducation, des choses qui lui étaient dévolues par nature.

    Le fait que l’État cesse de les irriguer (financièrement, notamment), en arguant que ce n’est pas sa prérogative, n’est que l’aboutissement d’un long désengagement. Où on peut voir deux politiques concordantes: minimiser la politisation, l’ingérence citoyenne qu’on réserve aux énarques et autres, et réduire les coûts.

    gemp

    26 novembre 2017 at 23 h 59 min


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