LES VREGENS

Avoir toujours vingt ans, ou au moins, essayer ?

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Quand j’avais vingt ans, j’y croyais, tout était possible. Le grand soir, quoi, un monde meilleur, plus juste, plus humain.

Ben oui, tout le monde n’a pas la chance d’avoir des parents communistes, n’est-ce-pas, avec tout ce que cela comporte d’avantages et d’inconvénients…

Je me rappelle, mon entrée en sixième, dans le lycée de Gabrielle Russier… à Marseille, je me rappelle mes premières manifs, à l’automne 68 et au printemps 69, avec les potes de l’l’Union Nationale des Comités d’Action Lycéens…

J’avais 13 ans.

Je me rappelle le « Comité Vietnam » que ma mère avait créé dans la cité ou j’habitais. Les gens étaient pauvres (bon dieu, c’est vrai qu’on galérait, je me souviens, c’est moi qui allait chercher les bidons de mazout pour mettre dans le poêle, Cosette, on aurait dit) mais tout le monde donnait quelques sous. Les gens venaient causer. Je dois avoir encore des photos quelque part, je vais chercher.

Je me rappelle l’IEP d’Aix, en 1975. Les cours « d’économie politique » : notre manuel était le « Traité d’économie politique » écrit par Raymond Barre… Sur la théorie marxiste : 2 pages. J’ai cartonné en histoire, juste parce que notre prof croyait que j’étais une russe blanche, mais quand même, notez bien, Mâme Lagarde a fait ses premières armes là…!

Je me rappelle les bagarres homériques avec les mecs de droite, ceux qui se baladaient avec des croix celtiques sur leur ceinture, les gars du GUD, les crânes rasés, déjà. Nous, on arborait le Che sur nos tee-shirts.

Mais aussi les insultes échangées avec des gens « de gauche » (rire), par exemple avec Patrick Menucci, un gros lascar déjà, avec les mains baladeuses, qui allait dans les pays de l’Est, à l’époque, les valises pleines de bas et de collants pour se faire de la thune (véridique). Un grand humaniste, le gars, lui qui est devenu le porte sacoche de la mère Ségo en 2007. Et qui siège aujourd’hui à la mairie de Marseille, et dans je ne sais plus quelle instance en Paca… Ben oui.

Je me rappelle 1981. La joie, le cri qui venait du profond, quand on a vu la tête de Mitterrand s’afficher sur l’écran. La gigantesque fête sur le Vieux-Port. C’était la gauche, enfin !

Aujourd’hui, je n’ai plus vingt ans. J’attends toujours.

Aujourd'hui, ça donne à peu près ça...

Je garde espoir, oh, un tout petit espoir. Vraiment tout petit. Du coup, j’ai lu cette semaine Les vivants et les morts, de Gérard Mordillat. C’est du Zola transposé à notre époque. En fait, c’est l’un des zozos du forum d’ASI qui m’a donné envie de le lire. Un gars qui disait que « contrairement à ce que l’on croyait, Zola n’était pas de gauche, et que ses héros étaient souvent présentés des rats, et des monstres… », tout ça en écho au message d’une asinaute distinguée postière, qui disait que « le mépris de classe prenait naissance dans la littérature du XIXème siècle »… Et qu’au moins, Jean-François Kahn, lui, avait dit un jour qu’il connaissait des postiers cultivés…Une grande connaissance de la littérature, donc. 

Ces asinautes écrivent ça, confortablement assis devant leur écran. Sont-ils militants quelque part, je l’ignore. Prennent-ils des risques pour les autres, pour une cause, pour un avenir meilleur autre que le leur, eux-mêmes personnellement, je ne sais pas. Ils écrivent sur ASI en tous cas.

J’ai donc lu cette histoire de rats et de monstres, toujours d’actualité.

Dont Xavier Mathieu, le beau gars des Conti, avait dit que ç’aurait pu être leur histoire, à lui, et à ses potes, dans ce très bel article de Télérama.

Or, chacun sait que l’histoire se répète, comme hier avec l’annonce de 6200 licenciements, un jour prochain, mais après les élections, évidemment, chez Peugeot. Toujours la même, cette histoire :

La Kos n’existe plus. Les ruines des machines, les équipements, la grande grille d’entrée, les portes en fer, tout ce qui pouvait être démonté, découpé, ramassé a été vendu au pris de la ferraille, du cuivre et du plomb. Les stocks et les matières premières ont été bradés par le liquidateur pour régler les créanciers. Tous les accès ont été murés par une entreprise extérieure à Raussel dont les ouvriers ont travaillé sous la protection de la police. Désormais, c’est un espace désert et sale, envahi par les mauvaises herbes, qui lentement le recouvrent…

Raussel est devenue une ville fantôme. Plusieurs commerces ont baissé le rideau de fer : deux boulangeries, la quincaillerie de la rue Aimé Verraeghe (ancien maire), le salon de coiffure de Jocelyne, le cinéma le Kursaal, une vieille mercerie et d’autres encore…L’Espérance n’a pas fermé, mais c’est tout comme. Il ne vient plus qu’un ou deux clients par jour, trois parfois. Que des habitués, pour qui Raymonde fait partie de la famille. Il boivent un café au comptoir, tournant ostensiblement le dos à l’entrée de la Kos, un mur de parpaings sur lequel on peut lire, en grandes lettres noires : USINE MORTE.

Et puis j’ai lu La guerre des classes, de François Ruffin.

Les nantis ont triomphé. La guerre des classes, ils l’ont gagnée :

Comme le dit le milliardaire Warren Buffet (à ne pas confondre avec Marie-George):

« Tout va très bien pour les riches dans ce pays, nous n’avons jamais été aussi prospères.

C’est une guerre de classes, et c’est ma classe qui est en train de gagner. »

C’est la commission européenne qui l’a annoncé en 2007 : « Entre 1983 et 2006, la part des salaires au sein de l’Europe, à chuté de 8,6 %. Et en France, de 9,3 %. »

Cet argent est passé directement dans la poche des actionnaires et des patrons

Et depuis trente ans, les salaires baissent, sauf au sommet …

Et pendant ce temps… le CAC 40, créé en 1987, était côté en février 2008, à 4 797 points, soit … + 378 %… Rien que Bernard Arnault, avec ses 335 millions par an, gagnait déjà ce que gagnait un smicard en … 230 769 ans… « Comme si on cousait depuis l’âge des cavernes !»…

C’est bien simple, en 2011, les patrons français sont les mieux payés d’Europe.

Mais que fait la gauche, me direz-vous ? Ben rien. Serge Weinberg, président du directoire de Pinault Printemps Redoute, disait en 2001 : « L’inégalité est un facteur clé du soutien de notre industrie. » Il a été l’un des « soutiens » de Ségolène Royal en 2007.

Et puis tiens, parlons-en, de Mâme Royal et de ses petits copains. Dans son livre, François Ruffin a fait l’analyse des discours « de campagne » de madame Royal, il a constaté que nulle part les mots « mégadividendes » ou « superprofits » n’ont été évoqués. Aucun gros mot non plus : ni « spéculateur », ni « patronat », ni « CAC 40 ». Et surtout pas le plus horrible de tous les gros mots « lutte des classes ». Seule la droite l’utilise encore, pour se vanter d’avoir gagné sur toute la ligne.

Pour Sainte Ségolène, en revanche, le temps était venu désormais du « dialogue social » au pays des Bisounours.

Oh, elle a bien un peu causé pognon dans sa campagne, et même en milliards… mais seulement pour évoquer ceux du « déficit de la Sécu », de la « dette publique » et des « comptes sociaux »… En clair, le « chant des caisses vides », de quoi préparer ces salauds de pauvres au serrage de ceinture généralisé.

Tellement creux et vide, tout ce blabla, que c’est finalement Sarkozy qui a été élu. Les gens n’ont pas cru à la mère Noël…

Le creux et le vide. Voilà les « idées », le « programme » du PS aujourd’hui. Un langage d’impuissants. De castrés. Comme le dit le banquier « socialiste » Jean Peyrelevade : « La gauche a gouverné pendant vngt ans et ses idées d’origine, son fond de pensée, ont été balayés totalement. Elle a perdu 100 % de sa pensée économique. »

Et comme le dit Ruffin, la tornade du pragmatisme est passée, qui n’a laissé derrière elle que l’immense désert du renoncement.

« Celui qui n’accepte pas la rupture, celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi, avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent du parti socialiste ! » C’est signé François Mitterrand, lors du congrès d’Epinay, en 1971… Un vrai gauchiste, à l’époque.

Rassurez-vous, ça n’a pas duré. En 1984, Laurent Fabius, alors qu’il venait juste d’être nommé premier ministre, a tenu un tout autre discours : « La dénonciation systématique du profit est désormais à ranger au magasin des accessoires »… Tout est dit. D’ailleurs, il peut se flatter de son bilan, qui bat tous les records, et qui fait même mieux que Margaret Thatcher, on est les champions :

« Plus faible progression des salaires industriels (de 1982 à 1993, la part des salaires dans le PIB va même chuter de 9 points, tandis que celle des profits augmente de 7 points) plus fort maintien du taux de chômage (9,5 % en 1990) plus fort endiguement du déficit budgétaire, et meilleure amélioration de la balance commerciale… » Et dans le même temps, on assiste à une explosion boursière jamais vue : « De 1983 à 1993, la Bourse de Paris, stimulée par des réformes de structure impulsées par les gouvernements Mauroy puis Fabius, aura vu sa capitalisation passer de 225 à 2700 milliards de francs pour les actions. »

(Source : « La décennie » de François Cusset, Editions La Découverte)

Comme le dit Ruffin, encore, les socialistes ont tourné à gauche. Une voie comme une autre pour arriver au sommet. Il a le sens de la formule, le gars Ruffin.

Et le capitalisme a gagné. Le modèle amerlocain libéral aussi. C’est le règne du dieu fric, du chacun pour sa pomme et que les autres crèvent. A croire que les curés ont raison : on adore le veau d’or, le bling-bling, les rolex, le bébé-à-Carlita, le Fouquet’s, le yacht à Bolloré, et le superbe-duplex-à-je-sais-plus-combien-de-milliers d’euros, de l’homme « de gauche » DSK, à Niouyorque. C’est partout, et surtout, dans les têtes. C’est à la télé, cet « espace de cerveau disponible », sur les murs de nos villes couvertes de pubs géantes, dans les supermarchés, où l’on voit cet étalage, cet amas, ce déferlement de bouffe industrielle,de frusques fabriquées par des gamins en Asie, chez les vendeurs de bagnoles, toujours plus grosses, toujours plus clinquantes. Les pauvres ne veulent plus changer le monde. Ils veulent juste « en être ». Gagner au loto, pour aller à Las Vegas claquer leur pognon. Avoir des robinets en or à leur lavabo, et épouser la fille Bettencourt, ou le fils Machin…

« Un. Tu n’as rien à toi : ta maison, elle est à la banque ; le jour où ils ferment le robinet, t’es à la rue. Deux, en théorie, tu peux aller où tu veux. En réalité, comme tu n’as pas un sou devant toi, t’es bien obligé de rester là où tu es. Je ne te demande pas où tu vas en vacances, je connais la réponse : tu restes là, assigné à résidence. Trois, tu travailles juste pour gagner ce qui te permet de survivre, rien de plus. Et si tu t’avises de te plaindre, le peu que tu as, on te l’enlève, pour t’apprendre les bonnes manières. Alors, tu la fermes, parce que ta baraque, ta femme, tes gosses… Bon d’accord, t’es pas fouetté, t’es pas vendu sur le marché, t’as le droit de vote, et le droit d’écrire dans le courrier des lecteurs … t’as la liberté d’expression. Mais quelle liberté ? Tu sais très bien que si tu écrivais vraiment ce que tu penses, ce serait comme si tu rédigeais ta fiche d’inscription à l’ANPE.

Si tu veux bien regarder de près, ta vie ne vaut pas un pet de lapin, tu comptes pour rien, t’es un « opérateur » de production, comme ils disent, quelque chose entre l’animal de trait et la pièce mécanique. »

Je suis heureuse de ne plus avoir vingt ans.

Mais quand même. Comme dirait Hugo : « S’il n’en reste qu’un… »

Les extraits sont de Gérard Mordillat, et de François Ruffin, des gars comme on les aime.

Et pis, merde, abonnez-vous à Fakir, c’est 25 euros l’année. Toujours ça que les actionnaires n’auront pas.


4 Réponses

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  1. Quel talent !
    Tu écris merveilleusement Gavroche et en plus, tu ne dis pas de conneries.

    Mais voilà, qu’est-ce qu’on fait ?
    Dire, encore et encore, « ELECTION PIEGE A CONS », IL LE FAUT mais ????….. est-ce suffisant pour sortir l’esclave de son aliénation ?
    Hessel à raison, il faut s’indigner et RESISTER. Il nous invite à l’insurrection pacifique; en sorte, il a anticipé (sugéré) les révolutions arabes (pas celle de la Libye qui, grâce à nos dirigeants politiques, est devenue une guerre).

    Mais sommes-nous capables, nous les super européens égoïstes, d’être aussi intelligents que ces Arabes que nous détestons tant ?
    La Révolution, il faut non seulement la vouloir mais IL FAUT LA MERITER.

    Quant au Patrick Menucci, tu parles si je le connais !…….. Ambition : Maire de Marseille.
    Qui crois-tu qui a filé les informations à Montebourg afin de désiguer les Guérini ?

    Et les fausses cartes de la Fédération PS des B. du Rhône (bientôt récupérée par ledit Patrick), à qui crois-tu qu’elles vont accorder leurs votes ?
    Pardi !…. au vainqueur (ou à la vainqueuse) présumé (e). Je parierais que ce sera au François !

    Bises à toi et à ton Josh.

    papounic

    10 juin 2011 at 20 h 49 min

  2. Superbe !

    alainbu

    11 juin 2011 at 11 h 28 min

  3. chuis d’accord avec papounic, tu écris très bien 🙂
    tu me donnes envie de lire le bouquin de Mordillat, faut que je le trouve.

    kakophone

    11 juin 2011 at 21 h 46 min

  4. bon, je me répète, mais je suis en plein dedans : si vous voulez voir en direct live à l’échelle d’un pays et là, juste à vos portes, un coup d’avion d’une ou deux heures à peine, comment le capitalisme prend son pied et est en train de transformer une culture fragile en disneyland pour touristes et cheval de troie pour pays émergent (la chine, pour être précis), comment il s’amuse à déstructurer radicalement une société malade de son hystérie du « progrès » (car de ce point de vue, les grecs sont aussi cons que tout le monde, mais hélas avec moins de moyens, et avec une plus-value des produits quasi nulle), ben viendez, viendez…

    (je te cite, gavroche :
    Et le capitalisme a gagné. Le modèle amerlocain libéral aussi. C’est le règne du dieu fric, du chacun pour sa pomme et que les autres crèvent. A croire que les curés ont raison : on adore le veau d’or, le bling-bling, les rolex, le bébé-à-Carlita, le Fouquet’s, le yacht à Bolloré, et le superbe-duplex-à-je-sais-plus-combien-de-milliers d’euros, de l’homme « de gauche » DSK, à Niouyorque. C’est partout, et surtout, dans les têtes. C’est à la télé, cet « espace de cerveau disponible », sur les murs de nos villes couvertes de pubs géantes, dans les supermarchés, où l’on voit cet étalage, cet amas, ce déferlement de bouffe industrielle,de frusques fabriquées par des gamins en Asie, chez les vendeurs de bagnoles, toujours plus grosses, toujours plus clinquantes. Les pauvres ne veulent plus changer le monde. Ils veulent juste « en être ». Gagner au loto, pour aller à Las Vegas claquer leur pognon. Avoir des robinets en or à leur lavabo, et épouser la fille Bettencourt, ou le fils Machin…
    merci pour ce papier, j’aime ça, tu es très fâchée, ça fait du bien à lire)

    zozefine

    4 juillet 2011 at 11 h 41 min


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